Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lamennais. Ces deux âmes furent sombres : Jules Simon, qui en apparence est si dissemblable, sympathise, malgré lui, avec eux : qui le forçait d’en parler à côté d’hommes d’État ou de penseurs contemporains, sinon une sorte de respect fraternel ? Fraternel, oui : ces deux Bretons, taillés dans le granit, l’attirent. Il avait vu Chateaubriand on 1835. « Je me rappelle son aspect si complètement que, si j’étais peintre, je crois que je ferais un portrait ressemblant, seulement avec mes souvenirs. J’avais pour lui une telle admiration que sa figure, ses vêtemens, ses moindres gestes, restaient gravés dans ma mémoire et hantaient constamment mon imagination. » Il plaint l’infortune de René mourant dans l’indifférence du public. « Le jour disparaît de la même façon : on était en plein soleil, on est dans le crépuscule ; mais le passage de la lumière à l’ombre a été presque insensible ; on voit que le jour a disparu sans l’avoir vu disparaître. » Et voilà encore une de ces phrases où l’on surprend le fils d’Armor : c’est derrière les landes plantées de genêts qu’il voit sombrer l’astre dans la tristesse des pénombres. L’étude sur Lamennais est plus saisissante encore. Qui eût dit à ce grand déclassé, passé de l’Extrême Droite où il avait effrayé ses amis, à l’Extrême Gauche où il intimidait ses voisins, que, là-bas, au Centre de l’Assemblée constituante, un jeune modéré attachait sur lui un regard chargé tout à la fois de pitié et d’admiration.

Du Lamennais de 1848, Jules Simon garde une impression très vive ; il le vit à la Montagne : « Lamennais s’y trouvait serré de tous les côtés ; et, chose remarquable, il y était seul. On avait le sentiment, en le voyant au milieu de cette foule, qu’il était seul. » Je ne cite que quelques mots : il faut lire le passage tout entier. Là encore, le Breton à l’âme tragique se laisse conquérir par cette tragédie que connut le cœur de Féli de Lamennais. Ailleurs cette tristesse native se fait plus douce : lui qui, cependant, a connu les abandons, ne pose pas, ainsi que ses compatriotes, un Chateaubriand, un Lamennais, aux Titans foudroyés. Dans ce volume que, par une pensée bien mélancolique encore, il a intitulé le Soir de ma journée, il a écrit : « Ceux qui ont lu mes premiers livres liront aussi le dernier ; ils me feront un bout de conduite avant de quitter leur ami et de l’oublier suivant les sages lois de la nature. » Une fois de plus, la larme voile l’œil bleu du Breton, mais cependant un scepticisme, qui d’ailleurs ne veut pas être amer, fait sourire les lèvres un peu charnues du Lorrain.


* * *

Le sourire, aussi bien, l’emporte. La preuve en est que nous avons