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de la plaine ; les étudians appartiennent au corps le plus glorieux des étudians de l’Europe.

Quand un étranger essaie de pénétrer dans la connaissance d’un pays, il distingue bientôt, sous la rumeur d’une vie toute nouvelle pour lui, des voix discordantes et des remous d’opinion autour de questions politiques, philosophiques ou sociales qui lui serviront de repères et d’observatoires. Ici, rien de semblable. Les questions existent bien ; mais elles ont, comme les rues, un trottoir pour ceux qui montent, un trottoir pour ceux qui descendent. On y circule sans s’y heurter. Au bas de la rue que j’habite, un pont enjambe le Furis, où ne passe pas un chien par jour. A chaque bout, on a planté un écriteau : Prenez à droite ! Qu’il s’agisse de la réforme du catéchisme, du mariage civil, du suffrage universel, les Suédois commencent toujours par planter les deux écriteaux. Ils évitent soigneusement tout sujet qui risquerait de les mettre aux prises. Chacun garde son trottoir ; nul ne manifeste le désir de traverser la rue.

En revanche, les carrefours sont nombreux où les esprits se rencontrent et se donnent l’accolade. Il est entendu, une fois pour toutes, que la Suède est un pays de haute culture, le pays le plus instruit du monde. Son enseignement supérieur n’est peut-être pas très supérieur à celui des autres nations ; mais son enseignement primaire !… Je ne connais pas de peuple où l’on se montre plus fier de posséder son alphabet et ses rudimens. On meurt en Suède, comme ailleurs ; mais on u la consolation d’y mourir dans les bras des meilleurs médecins du monde. On travaille aux Universités étrangères, mais pas comme à Upsal, où l’on ne reproche aux étudians que de travailler trop. Leur moralité est irréprochable. Il faut qu’elle le soit. Donc, elle l’est. Une jeune Suédoise m’avait dit à Paris avec un orgueil où je n’avais vu qu’un excès d’ingénuité : « Il n’y a pas de voleurs en Suède. » Mais, à l’une de mes premières visites, une vieille dame d’Upsal, Mme Z…, m’assura du même ton et avec le même orgueil que, de temps immémorial, jamais pardessus, foulard, canne ou parapluie, n’avait disparu des vestiaires de l’Université. Un soir que je dînais chez un professeur de théologie, mon voisin, un gros homme glabre qu’à ses yeux sévères et à ses lèvres pincées je pris pour un théologien, et dont je sus plus tard qu’il faisait le commerce des bois, m’entreprit au fumoir et me dit textuellement : « Il n’y a de fidélité à la parole donnée