Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 55.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tendances, sont portés à la mythomanie par la curiosité ; telle cette fillette, citée par M. Motet, qui avait commis une monstrueuse dénonciation mensongère contre un individu innocent, et qui, interrogée par M. le juge Atthalin sur les motifs de son acte, déclara ingénument qu’elle avait provoqué toute l’affaire pour avoir l’occasion de s’asseoir dans les beaux fauteuils du cabinet de l’instruction, dont le luxe lui avait été vanté par une de ses petites camarades, appelée quelques jours auparavant à déposer dans une enquête.

On ne saurait trop insister, ici, sur le rôle considérable joué chez les débiles, principalement chez l’enfant, par la suggestion étrangère, dans l’organisation du faux témoignage.

La suggestion étrangère alimente et enrichit toujours, déforme souvent, et crée parfois de toutes pièces la fable racontée par le petit sujet. MM. Lasègue, Bourdin, Brouardel, Motet, P. Garnier, ont tour à tour insisté, dans des travaux classiques, sur le rôle de la suggestion dans l’édification du roman accusateur chez les enfans. Cette influence suggestive est d’autant plus marquée que l’enfant est plus jeune et je ne saurais en donner une meilleure idée qu’en résumant ici quelques observations vraiment probantes de ce processus.

Voici un cas type du genre, observé par M. Lasègue, et dont j’emprunte à mon maître M. Motet la relation résumée à la Société de médecine légale :

« Un écolier rentre en retard au domicile ; sa mère le gronde. « Qu’as-tu fait ? Pas de réponse. — Tu as encore été courir ? — Oui, maman. — Où cela ? Pas de réponse. — Avec des hommes, peut-être. Dis la vérité, ou tu seras battu ! — Oui, maman. » De questions en questions, et de « oui maman, » en « oui maman, » la mère finit par faire raconter à l’enfant un prétendu attentat à la pudeur, commis par un commerçant d’une rue voisine. A l’arrivée du père, la mère s’écrie avec colère : « Répète à ton père ce que tu viens de m’avouer ! » L’enfant raconte l’histoire désormais fixée dans son esprit, et la répète encore mot à mot devant le commissaire de police et devant un juge d’instruction qui ouvre une enquête ; et l’enfant, suivant son récit, désigne la maison. Le commerçant qu’il accuse, et qui ne comprend rien à ce qui se passe, proteste avec énergie, donne la preuve qu’il n’était pas seul au moment où l’enfant prétend être venu chez lui. Le magistrat instructeur charge le