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est en ce moment pour l’Angleterre l’objet d’une véritable phobie, tant au point de vue commercial qu’au point de vue militaire. C’est contre la concurrence allemande et aussi contre la concurrence américaine que serait dirigée le Tariff Reform devenu, depuis que M. Chamberlain a soulevé la question, il y a sept ans, le principal cheval de bataille des conservateurs. Ils soutiennent que, en relevant les tarifs, ils viendraient en aide à l’industrie nationale, feraient hausser les salaires et diminueraient le nombre des unemployed, des sans-travail dont l’effectif va croissant, ce qui cause une préoccupation générale. Aussi toute leur campagne est-elle dirigée contre le Free Trade, campagne de brochures et campagne d’affiches. La Liberal Unionist Federation, association qui a été fondée par M. Chamberlain pour soutenir le Tariff Reform, m’a envoyé un ballot de ces affiches. Elles sont des plus curieuses. Quelques-unes ont un caractère mélodramatique. Ainsi, l’une d’entre elles représente un intérieur d’ouvriers. Le mari est assis dans un coin, l’air désespéré, ses instrumens de travail par terre à côté de lui ; la femme, en haillons, donne le sein à un bébé, une jeune fille est à demi nue. Au bas de l’affiche sont écrits ces deux seuls mots : Free Trade. D’autres ont un caractère humoristique. Une affiche à deux compartimens représente d’un côté un ouvrier anglais en guenilles, de l’autre un ouvrier allemand, gros et gras, à la face réjouie, et au bas les mots : Free Trade d’un côté, Protection de l’autre. Une troisième représente deux miches de pain d’égale dimension, avec le prix de chacune en Allemagne et en Angleterre. La miche de pain anglaise est plus chère que la miche de pain allemande et encore au bas : Free Trade et Protection. Une quatrième est intitulée : Workhouse or Workshop. D’un côté, un ouvrier sonne à la porte du Workhouse, de l’autre un ouvrier travaille joyeusement sur un petit établi. Et toujours : Free Trade et Protection. C’est contre le Free Trade que la campagne la plus ardente est dirigée. Cobden et Bright doivent en tressaillir dans leur tombe.

Le Free Trade est-il en réalité responsable de tant de méfaits ? Je l’ignore absolument. Il est déjà si difficile, au moins pour un demi-ignorant comme moi, de se faire une opinion sur les questions économiques concernant son propre pays, que je n’ai pas la prétention de m’en faire une sur les questions économiques anglaises. Mais je suis frappé de ce qu’a d’habile la