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que dans les dernières années de sa vie ? Je ne sais, et en l’absence de documens directs[1] et de témoignages contemporains, on ne peut guère que poser la question, sans prétendre à la résoudre Ce qui est sûr, c’est que les médecins conseillèrent très vivement une vie moins surmenée, moins préoccupée et moins claustrale, bref, des « divertissemens, » « c’est-à-dire en un mot, — nous explique Mme Perier, — les conversations du monde : car il n’y avait point d’autres divertissemens convenables à mon frère, mais quel moyen à un homme touché comme lui de pouvoir s’y résoudre ! En effet il y eut beaucoup de peine d’abord : mais on le pressa tant de toutes parts qu’il se laissa aller à la raison spécieuse de remettre sa santé ; on lui persuada que c’est un dépôt dont Dieu veut que nous ayons soin. » Acceptons sans discussion ce témoignage ; croyons qu’en effet Pascal eut d’abord beaucoup de peine à suivre ces conseils. Il n’en est pas moins vrai qu’il les a finalement suivis, que ses habitudes et ses goûts d’humaine logique ont fini par trouver « spécieuse » « la raison » qu’on faisait valoir à ses yeux. L’ascète chrétien qui, dans sa dernière maladie, va « appréhender même de guérir, » n’est pas encore parvenu à ce degré de ferveur mystique qui lui fera préférer à la santé les plus violentes souffrances physiques.

Cette disposition à fuir les suggestions ou les entraînemens de la sensibilité, à concevoir toutes choses, et même la religion, sous des espèces de l’intelligence, se traduit dans toutes les lettres d’alors que nous avons conservées de lui. Ce ne sont que sermons didactiques et austères, dures dissertations de théologie et de morale. En voici le ton. J’extrais ces lignes au hasard d’une lettre à Mme Perier : « C’est pourquoi tu ne dois pas craindre de

  1. J’avais cru longtemps, avec la plupart des pascalisans, sur la foi de l’avertissement de la première édition des Pensées, que la célèbre Prière pour le bon usage des maladies était de cette époque : « Une prière que M. Pascal composa étant jeune, » dit en effet la Préface. Mais un nouveau texte de la Vie de Pascal, par Mme Perier, qu’a découvert et publié M. Brunschvicg, se prononce si affirmativement pour une époque ultérieure, qu’il me paraît bien difficile de ne pas le suivre : « On ne peut mieux connaître les dispositions particulières dans lesquelles il souffrait toutes ses nouvelles incommodités des quatre dernières années de sa vie, que par cette prière admirable que nous avions apprise de lui qu’il fit en ce temps-là pour demander à Dieu le bon usage des maladies… » L’affirmation, on le voit, est catégorique. J’ajoute, — et sans vouloir attacher à ces impressions nécessairement un peu subjectives, plus d’importance qu’il ne convient, — qu’à y regarder de plus près, il me semble bien maintenant que l’inspiration, l’accent et le style même de la Prière ne sont pas en effet du premier Pascal. Oui, tout le morceau parait bien contemporain du mot fameux : « La maladie est l’état naturel des chrétiens. »