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telle sorte que je ne le connaissais plus, et je crois que vous en ferez autant que moi, si Dieu continue son ouvrage, et particulièrement en l’humilité, en la soumission, en la défiance et au mépris de soi-même, et au désir d’être anéanti dans l’estime et la mémoire des hommes. Voilà ce qu’il est à cette heure. Il n’y a que Dieu qui sache ce qu’il sera un jour.


Restait la délicate et nécessaire question du choix d’un directeur. Ce ne fut qu’« après bien des visites et bien des combats qu’il eut à rendre en lui-même, » que Pascal se résolu enfin à choisir M. Singlin. « Je vis clairement, observe ici bien profondément Jacqueline, que ce n’était qu’un reste d’indépendance caché dans le fond du cœur qui faisait arme de tout pour éviter un assujettissement qui ne pouvait être que parfait dans les dispositions où il était. » Elle note encore la « merveilleuse appréhension » qu’avait le « nouveau converti » que l’on sût ses nouvelles dispositions morales, et ses nouveaux rapports avec Port-Royal, et tous ses manèges pour dépister les soupçons. Enfin, M. Singlin, qui l’avait d’abord constituée la directrice de son frère, ayant consenti à se charger de lui, Pascal se retira quelque temps à Port-Royal des Champs : il avait une cellule parmi les solitaires, heureux d’être seul et pauvre, assistant en plein hiver à tout l’office, « depuis primes jusqu’à complies, » « tout ravi » du nouveau directeur auquel l’a adressé M. Singlin et « qui est un homme incomparable, » — c’était ce délicieux M. de Saci, — enfin devenant peu à peu indifférent à l’opinion du monde sur lui-même, dépouillant tout respect humain et se départant des allures mystérieuses qu’il avait affectées tout d’abord. La vraie conversion était opérée, et cette fois, elle était définitive.

Mais elle ne dit pas tout encore, probablement parce qu’elle ignore, la sœur de Sainte-Euphémie. Par humilité chrétienne, ou par pudeur religieuse, son frère semble bien ne pas lui avoir parlé de cette nuit mémorable du lundi 23 novembre 1654 où, feuilletant l’Evangile de saint Jean, probablement dans une de ces éditions de la Bible qui, imprimées à Louvain, « conservaient en grande partie le français archaïque de Lefèvre d’Etaples[1], » il a entendu et suivi l’appel décisif de la grâce.

On a commenté avec ingéniosité, avec émotion, avec éloquence[2] le précieux papier où Pascal, de sa propre main, a

  1. Ceci résulte des recherches de M. Strowski.
  2. Voyez notamment les commentaires de M. Boutroux, de M. Strowski. de M. Barrès, de M. Brémond.