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l’histoire conservera le nom, ont été d’accord sur ce point. Que ce soit Paul Devaux, Joseph Lebeau ou Charles Rogier, tous se rattachent à l’idée qui suggérait à Léopold Ier les premières fortifications d’Anvers, réduit futur de l’indépendance belge. Plus près de nous, il y a quelques mois à peine, c’est le ministre des Affaires étrangères, M. de Favereau, qui, malgré l’optimisme professionnel des diplomates, analyse d’un trait réaliste les garanties assurées à la Belgique et caractérise fortement les obligations que laissent subsister ces garanties : « L’erreur de ceux qui persistent à contester les devoirs que la neutralité impose à la Belgique repose, dit-il, sur trois points : une conception fausse de notre neutralité, une confiance aveugle dans les traités, une ignorance grande de la situation internationale de l’Europe. La neutralité n’a pas été accordée à la Belgique dans une pensée de bienveillance à son égard, mais en raison de préoccupations intéressées et particulières, et les puissances n’interviendront pour garantir, le cas échéant, le maintien de cette neutralité que dans la mesure où leurs intérêts leur commanderont de le faire. J’ai pleine confiance dans la loyauté des puissances. Mais il faut faire la part des faits, et j’ai cette conviction profonde, — que je regrette d’avoir à exprimer, — c’est que, si notre territoire était menacé par un conflit des puissances voisines, il ne serait respecté que dans la mesure où nous serions à même de le défendre. » Allez au fond de tous les projets, encore imprécis, d’entente hollando-belge : vous leur trouverez la même base : le sentiment que la Belgique ne restera neutre qu’à la condition de pouvoir imposer le respect de cette neutralité.

Telle est, dès son avènement, la pensée de Léopold II, et s’il ne la tenait de famille, les événemens se chargeraient de la lui dicter. 1865 : c’est l’heure où s’élaborent les grandes tragédies qui vont, en moins de six ans, changer la face de l’Europe. Bismarck touche au but. Il va déchaîner la guerre austro-prussienne et porter le premier coup à l’édifice précaire de suprématie qu’avait paru fonder pour la France le Congrès de Paris de 1856. La Belgique est trop près du champ de bataille pour n’être point secouée du bruit du canon. Elle a d’ailleurs son rôle dans l’intrigue qui se noue, celui d’amorce ou de victime. Pour contenir Napoléon III, en même temps que pour le compromettre, la Prusse encourage les rêves d’extension