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vie, jugé capable d’occuper. C’est une lutte épique, lutte contre les défiances étrangères, défiance portugaise, défiance anglaise, défiance allemande, défiance française ; lutte contre l’indifférence de l’opinion belge, l’hostilité des partis, le scepticisme des ministres ; lutte contre les surprises du sol, les résistances du climat, les nécessités financières, plus exigeantes que toutes les autres.

Par un jeu de contrepoids poussé jusqu’au paradoxe, par d’étonnantes audaces coupées de prudentes patiences, Léopold II conquiert la seule consécration qui compte pour un réaliste de sa sorte : celle du succès. Pour s’assurer ce succès, tous les moyens lui sont bons. Faut-il des concessions de principe ? Il accepte pour le nouvel État un régime d’absolue liberté commerciale qu’il saura dans la pratique muer en monopole rigoureux. Faut-il des concessions de fait ? Il rassure la France par la clause de préemption qu’il est résolu à ne laisser jouer jamais. Dégageant ainsi le terrain international, il se donne tout entier à la conquête et à l’exploitation. Il guerroie contre Tippo-tip et ses négriers. Il étend le périmètre de récolte, où ses agens, sans ménagemens, recueillent l’ivoire et le caoutchouc. Il commence cet étonnant chemin de fer, né, semble-t-il, de la rêverie d’un Wells, et dont Stanley disait un jour que, — sans lui, — il n’eût pas donné un penny du Congo. Les millions s’engloutissent par centaines et la prudente Belgique s’alarme, à voir son souverain pris par cette aventure. Elle lui a octroyé sans entrain le droit d’assumer la souveraineté du Congo. Mais elle entend ne point se compromettre, ne risquer ni ses capitaux, ni son crédit international dans le gouffre noir ouvert au fond de l’Afrique. Elle admet « l’union personnelle. » Elle n’est pas mûre encore pour « l’union réelle » qui fera du Congo sa filiale.

Patiemment Léopold II prépare cette union. Il fait publier d’abord en 1890 le testament aux termes duquel il déclare « léguer et transmettre après sa mort, à la Belgique, tous ses droits souverains sur l’État indépendant, » avec faculté pour elle d’annexer la colonie, même du vivant du Roi. Puis, c’est une série d’opérations financières, consenties de mauvaise grâce par les Chambres et qui, malgré elles, scellent d’un lien positif la solidarité entre la Belgique et le Congo. Après l’emprunt de 150 millions de 1887, viennent 15 millions pour le chemin de fer en 1889, un prêt de 25 millions en 1890, la souscription de