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conduisons-nous de manière à n’avoir jamais aucun tort fondé et attendons avec résignation ce qu’il plaira à la Providence de décider sur notre destinée. Je suis décidé à faire tout ce que veut et voudra l’Empereur, et quand je ne pourrai plus supporter le fardeau, je le prierai de s’en charger. Ainsi, sois sans inquiétude, je ne suis nullement affecté, je suis tranquille, et ce n’est que sur lui et pour lui, dis-je, que je puis avoir des craintes, s’il ne change pas de système. — JOACHIM MURAT[1]. »

Ces dernières lignes laissaient clairement pressentir l’universelle défection au bout de l’universelle oppression. L’avenir devait les rendre prophétiques.


III

A Naples, la Reine est heureuse, en ce mois d’août 1810, de retrouver son royaume et son palais ; elle jouit des beaux appartemens que Murat lui a fait disposer en son absence, par galante surprise, selon la connaissance qu’il a de ses désirs et de ses goûts. Autour d’elle, c’est l’été brûlant, un pays resplendissant et morne, une terre écrasée de soleil. La mer est inerte, l’azur immobile ; les découpures de la côte se perdent au loin dans un poudroiement de lumière, et Naples s’alanguit sous le ciel d’août. Tout invite la Reine à une molle nonchalance, le besoin de repos qu’elle éprouve après sept mois d’agitations et de contrainte, sa santé à soigner, sa grossesse, jusqu’à ces lourdes chaleurs qui lui font tomber la plume des doigts lorsqu’elle la prend pour écrire à son mari : « Elles m’accablent et je tombe sur ma table en t’écrivant. Crois que je t’aime et que je t’aimerai toujours de tout mon cœur. »

Tandis que Murat en Calabre essaie de franchir le détroit de Messine avec ses troupes et s’acharne à l’impossible, la Reine arrange sa vie à la napolitaine. De cette existence « bien paresseuse, » elle trace de sa main le tableau : tous les jours, elle reçoit jusqu’à midi : « je dîne à une heure ; après mon dîner, je me couche jusqu’à six heures ; je soupe à neuf, je me couche à dix et je me lève à huit. Il faut que je dorme beaucoup ; j’ai pris la manière de vivre napolitaine : mangiare, dormire e la dolce farniente. »

  1. Archives Murat. Par exception, cette lettre de Murat à sa femme a été conservée en brouillon dans les papiers du comte de Mosbourg.