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l’Allemagne, soulever l’Europe : en un mot, accomplir avant la campagne de Moscou tout ce qu’il ferait après, mettre 1813 avant 1812. Son aventureux projet fut pénétré au moment même où il venait d’y renoncer. Napoléon fut prévenu directement de Varsovie, prévenu indirectement de tous côtés. Alors, comme il a failli être surpris, c’est de sa part un effort immense et précipité pour se replacer en position de combat, pour faire refluer vers le Nord l’énorme force militaire de l’Empire. Dans le milieu d’avril, par ordres immédiats, pressans, réitérés, il mobilise les armées varsovienne et saxonne, reforme en arrière une armée sous Davout, fait s’acheminer de partout des régimens et des convois, accumule des contingens, prescrit des rassemblemens ; il donne l’éveil à ses chefs de corps et prévient ses alliés. Dans ces jours d’alerte, en prévision d’une campagne où la cavalerie aura un grand rôle à jouer, où il faudra repousser l’irruption des Cosaques et dégager de cette nuée la Pologne et l’Allemagne, peut-il ne pas requérir celui de ses capitaines qui possède le génie de la guerre à cheval ? Il parle à Murat d’une grande guerre dans le Nord, d’une guerre à faire ensemble, et déploie à ses yeux des perspectives glorieuses.

Au bruit des armes, Murat a tressailli. Pareil au bon coursier de bataille qu’un frémissement saisit dès que sonne le belliqueux rappel, il s’émeut et vibre. Au milieu du branle-bas guerrier qui pendant quelques jours l’environne, il se retrouve en atmosphère plus appropriée à son tempérament et plus salubre ; il respire la guerre. D’ailleurs, à se jeter dans le Nord, est-ce qu’il y a seulement une nouvelle gloire à cueillir ? En ces vagues et flottantes régions, est-ce qu’on ne peut se tailler à la pointe de l’épée un autre royaume, plus vaste que celui de Naples, plus lointain et plus libre ? Les Polonais connaissent Murat. Ils l’ont vu passer en 1806 et 1807 comme le dieu rutilant des combats. A son aspect, l’acclamation générale ne va-t-elle pas reconnaître en lui, désigner et presque imposer à l’Empereur le chef de la chevalerie polonaise, le roi régénérateur ? Dans tous les cas, une grande guerre peut donner lieu à des trocs merveilleux et à des déplacemens de souveraineté.

Convient-il cependant de sacrifier tout de suite le présent à l’avenir, un état existant, quoique précaire, à une ombre grandissante ? Voilà ce que se demande anxieusement Caroline, dès qu’elle apprend les bruits de guerre. Sa terreur est que Murat, à