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comme le type achevé et sans tache de la précieuse. Esprit supérieur et cultivé, sa distinction était dans son sang, et jamais rien en elle ne trahissait l’effort. Ce qui la sauvait de toute affectation, c’est qu’elle n’avait aucune prétention personnelle et qu’elle possédait la rare faculté de s’oublier ; aussi s’occupait-elle des autres plus que d’elle-même ; accueillante, douce, modeste, incapable d’humeur et de caprice ; la seule peine qu’elle eût à prendre, c’était de laisser agir en elle la nature et de se montrer telle qu’elle était. Ainsi faite, il n’était pas à craindre que sa préciosité la fît tomber dans aucun travers : « Sa physionomie est la plus belle que je vis jamais ! Et il paraît une tranquillité sur son visage, qui fait voir clairement quelle est celle de son âme. On voit même en la voyant seulement, que toutes les passions sont soumises à raison, et ne font point de guerre intestine dans son cœur. En effet, je ne pense pas que l’incarnat qu’on voit sur ses joues, ait jamais passé ses limites, et se soit épanché sur tout son visage, si ce n’a été par la chaleur de l’été, ou par la pudeur ; mais jamais par la colère, ni par aucun dérèglement de l’âme. Ainsi Cléomire étant toujours également tranquille, est toujours également belle… Au reste, l’esprit et l’âme de cette merveilleuse personne surpassent de beaucoup sa beauté. Le premier n’a point de bornes dans son étendue, et l’autre n’a point d’égal en générosité, en constance, en bonté, en justice et en pureté. L’esprit de Cléomire n’est pas un de ces esprits qui n’ont de lumière que celle que la Nature leur donne ; car elle l’a cultivé soigneusement ; et je pense pouvoir dire, qu’il n’est point de belles connaissances qu’elle n’ait acquises. Elle sait diverses langues, n’ignore presque rien de tout ce qui mérite d’être su ; mais elle le sait sans faire semblant de le savoir ; et on dirait à l’entendre parler, tant elle est modeste, qu’elle ne parle de toutes choses admirablement comme elle fait, que par le simple sens commun, et par le seul usage du monde[1]. »

Après elle le principal ornement de son salon était sa quatrième fille, la fameuse Julio d’Angennes, qui devint plus tard1 la duchesse de Monlausier. Julie était comme sa mère un type de précieuse où la distinction s’accorde avec le naturel. Esprit moins élevé, raison moins ferme, âme moins haute, elle

  1. Portrait de Cléomire (Grand Cyrus).