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chancelier de l’Empire se lever, et laisser tomber quelques paroles. « Vous n’avez rien derrière vous, que vos fictions et vos illusions ; vous vous imaginez que vous avez été élus par le peuple polonais pour représenter la nation polonaise : vous avez été élus pour défendre les intérêts de l’Eglise catholique ; et si vous le faites, aussitôt que ces intérêts seront ici sur le tapis, vous aurez rempli votre devoir envers vos électeurs. »

Après ce coup de boutoir, le chancelier se reposa. Les Polonais seuls paraissaient frappés, mais les catholiques, aussi, étaient visés. A l’heure où les Polonais déclaraient n’être pas Allemands et voulaient qu’on prît acte de leur profession de foi, à l’heure où ils demandaient à ne point faire partie de l’Empire, Bismarck les renvoyait à leur besogne : défendre l’Eglise. Au jour venu, se tournant vers l’Eglise, il lui dirait : Voyez vos défenseurs, ce sont les ennemis de l’Empire ; ce sont ceux qui ne voulaient même pas appartenir à l’Empire. Ainsi préparait-il, longtemps à l’avance, en vue d’une lutte possible, des argumens contre le « romanisme, » comme derechef il faisait fondre, en vue d’une guerre nouvelle, des boulets de canon contre la France.

Ce même jour, 1er avril, les additions proposées par Reichensperger commencèrent d’être discutées : la bataille remplit trois séances. Elle mit aux prises deux conceptions du libéralisme : celle de 1848 et celle des nationaux-libéraux. Sur les lèvres des frères Reichensperger et de l’évêque Ketteler, l’esprit de 1848 se réveillait : ils demandaient la liberté pour les Eglises et ils imploraient du Parlement une « Grande Charte » de la paix confessionnelle. 1848 ! Cette seule évocation, désagréable pour les conservateurs, faisait, d’autre part, sourire Kiefer, le national-libéral badois, qui persiflait comme une duperie cet archaïque libéralisme ; elle faisait rire Miquel, qui rappelait que seule la confession catholique avait profité des libertés octroyées en ce temps-là, et que l’établissement religieux protestant, officiellement encadré dans l’Etat, n’avait jamais pu bénéficier de ce somptueux cadeau. Un autre national-libéral, le canoniste Dove, redoutait ces libertés-là comme un nouveau cheval de Troie. On voyait s’afficher, désormais, sous le nom de libéralisme, un système de doctrines qui, s’il le fallait, éclaireraient l’humanité malgré elle et la feraient progresser malgré elle ; et comme des conflits étaient à prévoir entre ce système et l’Eglise, les libéraux