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politique, l’Anglais est un étranger et cette manière de sentir, toute médiévale, s’accuse encore plus violemment dans ses discours en langue Cymry. Son mariage avec une belle jeune fille, qui réalise à un degré vraiment remarquable le type physique de la race et qui descend, dit-on, en ligne directe d’Owen Glendower, dernier champion de l’indépendance galloise[1], ne put que le fortifier dans ses tendances primitives. Que réclamaient les Gallois ? Le programme de leurs revendications comprenait trois articles : Liberté religieuse, réforme de la propriété rurale, conservation de l’idiome national. Un mot sur chacun de ces points ne sera pas sans intérêt, puisque la jeunesse de M. Lloyd George a été dévouée à cette triple cause.

L’Eglise officielle d’Angleterre ne réunissait autour d’elle qu’une minime portion de la population totale. Sur les deux millions dont se composait cette population, les quatre cinquièmes ou, même, les cinq sixièmes appartenaient aux sectes dissidentes depuis plus de cent cinquante ans. Etait-il juste que les Gallois entretinssent la coûteuse existence d’une Eglise à laquelle ils ne croyaient pas ? Etait-il juste que, non contente de monopoliser les revenus et les édifices du culte, cette Eglise s’arrogeât un contrôle spirituel sur des âmes qui ne voulaient point d’elle ? L’Irlande, en 1869, avait reçu satisfaction sur ce point : le pays de Galles, à son tour, réclamait la même justice, le désétablissement de l’Eglise anglicane dans la principauté. Rien de plus équitable ; mais si une telle opération est laborieuse en toute circonstance et en tout pays, elle est particulièrement délicate là où existe une taxe ecclésiastique, reste de l’ancienne dîme, qui ajoute une difficulté de plus à la liquidation financière. D’ailleurs, l’Église du pays de Galles est une partie intégrante de la structure anglicane, et il est impossible de

  1. Il y a bien des années, je séjournai quelque temps à Dolgilly, pittoresque village au pied du Cader-Idris, qui fut la capitale d’Owen Glendower et qui sert de point de départ, à des excursions dans les montagnes de la région centrale. On me montra le « Parlement » de Glendower. C’était une cour de ferme, pleine d’oies et de canards qui y menaient autant de bruit que la plus orageuse des assemblées populaires. Des pans de murs, rongés par la mousse, dessinaient l’enceinte où les représentans du petit peuple avaient discuté leurs intérêts dans la langue nationale. Et voici qu’un homme, sorti des rangs de ce même petit peuple et dont les enfans auront dans les veines quelques gouttes du sang d’Owen Glendower, mène le Parlement de la race conquérante, ce grand parlement auquel obéit le cinquième de l’humanité ! L’histoire, il faut en convenir, a des résurrections et des revanches inattendues.