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avec cette « créature de boue, » il décidait spirituellement d’épargner au malheureux père le chagrin de cette vue en nommant le fils « vice-président » de la province silésienne de Glogau, c’est-à-dire en accordant au mari de la Barberina le plus bel avancement que le jeune fonctionnaire aurait pu espérer.

Il ne semble pas, toutefois, que cet avancement ait été au goût de la nouvelle baronne, qui avait bien compté pouvoir étaler son titre dans les salons de l’aristocratie berlinoise. Mais le plus triste est que le baron Coccei, à peine marié, découvrait que sa femme et lui étaient les moins faits du monde pour la vie commune : si bien que le ménage « vice-présidentiel » s’est trouvé, tout de suite, condamné à un sort des plus misérables. Bientôt même Barberina, avec l’humeur acariâtre que nous révèle trop éloquemment son portrait de Barchau, a dû faire payer très cher au pauvre baron la faute qu’il avait commise en s’unissant à elle : de là des scènes, probablement entremêlées de fréquens échanges de coups. Encore Coccei se consolait-il de ses déboires conjugaux dans la société d’une aimable jeune veuve, qui avait eu pitié de son infortune : mais sa femme, prématurément vieillie par les chagrins et l’exaspération, se minait dans un abandon de jour en jour plus pénible, et ne rêvait plus qu’aux moyens d’être délivrée de son baron, tout en continuant à rester baronne ; car il va sans dire que les plus cruelles épreuves lui miraient été préférables à la perte de l’unique objet qu’elle eût jamais convoité.

Ou plutôt il y avait un autre objet qu’elle avait également apprécié et recherché, depuis l’enfance, et qu’elle n’entendait point sacrifier maintenant, fût-ce pour prix de sa liberté. De tout temps, elle avait aimé l’argent, et soigneusement conservé la plus grosse partie des sommes que son art ou sa beauté lui avait values. Tout porte à croire qu’elle se serait séparée beaucoup plus vite de son mari, sans la perspective intolérable d’avoir à partager sa fortune avec lui : et, en effet, nous voyons que la séparation de ce couple mal assorti n’a pu enfin se produire que lorsque le baron eut solennellement consenti à s’abstenir de toute prétention sur l’argent de sa femme. C’est alors seulement que Barberina a bien voulu quitter le vaste et morne château de Glogau, laissant désormais Coccei se distraire à son aise avec sa jeune veuve, qu’il devait épouser dès le lendemain de son divorce, en 1789. Quant à la première baronne Coccei, celle-là s’est retirée sur-le-champ dans ce château de Barchau, voisin de Glogau, qu’elle avait acheté en 1759, et qu’elle allait habiter jusqu’à la fin de sa longue vie. Et quand enfin, après plus de vingt ans, à la requête