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quelques-uns, séduits par la logique impitoyable des doctrines révolutionnaires, se sont jetés dans le mouvement avec cette fougue et cette candeur qui rendent ces jeunes Slaves dévoyés, à la fois, moralement, si dignes de pitié et, socialement, si dangereux. On entendit, à la Skoupchtina, des discours très « avancés. » Le prince en fut étonné, blessé ; il ne s’était pas rendu compte de cette mentalité d’une génération qui n’est plus la sienne et que la sienne ne comprend plus ; il commença à se demander si « son enfant » n’aurait pas grandi trop vite.

Il serait exagéré de dire que deux partis se formèrent, mais deux tendances se firent jour : les uns, représentans des anciens clans, regrettaient, sans le dire, la Constitution et tendaient à en réduire l’application au minimum ; les autres, que l’on appelait parfois le « parti national, » souhaitaient le développement des libertés politiques et travaillaient à acclimater au Monténégro le régime parlementaire. Ardemment patriotes, comme tous leurs concitoyens, ils l’étaient d’une manière un peu nouvelle et superposaient au patriotisme monténégrin un patriotisme serbe plus général. Ils donnèrent à la Skoupchtina le nom d’ « Assemblée serbe de la Tchernagora ; » c’est dans une union de tous les Serbes et, pour commencer, dans une alliance étroite avec le royaume de Serbie, qu’ils voyaient l’avenir et les espérances de grandeur de leur pays.

Lorsque le prince octroya la Constitution, le chef du ministère était, depuis quarante ans, un membre de sa famille, son cousin germain, M. Bojo Petrovitch, dont l’intelligence élevée, le caractère loyal et ferme avaient rendu de grands services au prince et au pays. À politique nouvelle, hommes nouveaux : le prince choisit comme président du Conseil M. Miouchkovitch[1], et, comme ministre des Finances, M. André Radovitch. Ce ministère, dura presque un an et donna sa démission au moment de la seconde session de la Skoupchtina en novembre 1906. Le prince voulut alors qu’une commission de l’Assemblée désignât les futurs ministres. Le Cabinet Radoulovitch fut constitué et dut donner sa démission en janvier pour avoir voulu substituer, dans l’armée, aux anciens chefs de clans, les officiers sortis des écoles européennes. Un ministère présidé par M. Radovitch prit alors le pouvoir ; il menaça directement les intérêts d’une camarilla

  1. Voyez, pour les détails de la politique monténégrine, René Henry, Des monts de Bohême au golfe Persique (Plon, 1908), pages 476 et suivantes.