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LE MONTENEGRO ET SON PRINCE.

veulent pas mourir, mais ils se demandent s’ils pourront vivre.

Deux événemens européens pourraient exercer une action décisive sur l’avenir du Monténégro. Le premier serait, en Autriche-Hongrie, la réalisation du « trialisme. » Si un grand Etat jougo-slave, où entreraient la Croatie, la Bosnie, l’Herzégovine, la Dalmatie, était constitué, on se demande si le Monténégro, et même la Serbie, ne seraient pas entraînés à s’y agréger : le ruisseau se perdrait dans le grand fleuve.

La formation d’une confédération balkanique, au contraire, ouvrirait pour le Monténégro, tel qu’il est constitué, et pour sa dynastie, des perspectives d’avenir ; la Principauté tournerait son activité vers ces plaines et ces vallées de la péninsule où régnèrent jadis les grands Tsars slaves. Peut-être l’heure viendrait-elle, pour les Monténégrins, de s’y élancer de nouveau pour la guerre sainte qui chasserait enfin d’Europe l’ennemi héréditaire, le Turc. C’est l’espoir atavique qui survit au fond du cœur de tout Monténégrin. « Si les Serbes, les Bulgares et les Croates s’étaient fraternellement tendu la main, et si, appréciant à leur valeur les Grecs leurs voisins, ils avaient vécu en amis avec eux, d’autres chants retentiraient aujourd’hui du fier Olympe à la Drave. Hélas ! c’est la haine qui a triomphé ! » C’est un personnage de l’Impératrice des Balkans qui parle ainsi. Cette concorde qu’il a chantée comme poète, sera-t-il donné un jour à Nicolas Petrovitch de la faire régner comme souverain ? L’hégémonie de la confédération balkanique pourrait-elle échoir à sa dynastie ? L’avenir nous l’apprendra. Mais, que ce soit là le rêve suprême de sa vie, le but secret de toute son activité, c’est Danitsa, l’héroïne de son drame, interprète de sa pensée, c’est l’Impératrice des Balkans elle-même qui nous le dit : « Nous serons le mauvais génie de la Turquie. Elle se brisera contre nos monts. Nous tendrons à nos voisins nos bras fraternels ; nous les aiderons dans leur malheur. Notre devise sacrée sera éternellement : les maux des frères par les frères pansés ! »


René Pinon.