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une grande effusion de cœur, la haute vertu et l’admirable conduite dans des circonstances difficiles. Le beau mot de Fénelon mourant à Louis XIV : Je ne connais rien de plus apostolique, de plus vénérable que Saint-Sulpice, fut cité plusieurs fois. Il rappelait les beaux souvenirs de l’Eglise de France, de ses jours d’épreuves, toujours pour elle les plus glorieux, qui l’amenèrent, comme naturellement, à faire un magnifique et touchant éloge du vénérable Pie VII. J’étais, je le constate, saisi, stupéfait, presque entraîné ; je ne pus du moins, en sortant, m’empêcher de me dire à moi-même : voilà bien certainement une des plus édifiantes conversations qui se soient tenues aujourd’hui dans Paris ; il ne manquait vraiment qu’une croix sur cette poitrine pour me persuader que je conversais avec un des plus vénérables évêques de France…

J’étais sorti de l’hôtel Talleyrand frappé de la grandeur en quelque sorte solennelle du maître ; je me représentais malgré moi cette tête si noble et si haute, ces traits expressifs et imposans, ce regard si pénétrant, si profond ; je me représentais surtout ce respect, ces soins, cette tendresse, je dirais presque ce culte de sa famille et de ses amis, derrière lequel l’homme privé semblait se reposer des agitations du monde, considérant de là, avec une si parfaite tranquillité, l’extraordinaire violence des outrages et des injures prodigués à l’homme public. Car une chose que j’ignorais, et qu’on ignore généralement, c’est que M. le prince de Talleyrand était vénéré et chéri de tout ce qui l’approchait ; et, comme cette vénération et cette tendresse lui ont été fidèles pendant toute une vie presque séculaire, il faut bien, me disais-je, que ceux qui en ont dit tant de mal, et jamais de bien, aient eu un peu tort et n’aient pas tout su…

Mais le souvenir le plus vif qui me resta de ma première entrevue avec M. le prince de Talleyrand fut ce caractère de gravité, cette sorte de préoccupation religieuse qui m’avait d’abord frappé dans sa conversation. Il ne s’y était peut-être pas dit un mot que n’eût pu avouer un évêque : la justesse et l’orthodoxie des principes, la noblesse et la pureté des sentimens attestaient des réflexions sincères et profondes, et un intérêt très prononcé pour les pensées de ce genre. Il me semblait bien difficile qu’un homme, qui savait faire de telles réflexions et rendait hautement hommage à de pareils principes, échappât à la nécessité de réfléchir sur lui-même, et peut-être de se