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LA FAIBLESSE HUMAINE.

pris qu’elle préférait, dans sa tendresse exclusive, l’abstention.

Elle n’avait pu cependant empêcher Laloubers de représenter à Maurice combien son action locale était plus efficace et plus belle. À lui aussi déjà on avait offert la députation ; il avait refusé, préférant rendre de son mieux la justice sur son siège de province que d’aller se perdre, anonyme, avec quelques personnalités marquantes, dans une foule préoccupée surtout de ses intérêts et de ses appétits. Mais Laloubers, malgré la force de ses argumens, s’était vu arrêté avec une cordialité nette. Brousseval, républicain sincère, lui, approuvait Dopsent ; cette fois, les Landes seraient représentées par un homme, et un fier homme ! Serquy faisait chorus ; royaliste libéral, il préférait dans leur ami le meilleur des pis aller. Cormeilles, esprit routinier de fonctionnaire, se réservait, prêt à marcher pour la candidature officielle déclarée.

Elle devinait bien que Pierre Duadic, — mais que comptait-il ? — s’émouvait pour elle de toute sa jeune fidélité et de son obscur dévouement, et que les bons gros yeux de Fraülein la plaignaient, car même les esprits ordinaires ont des clairvoyances insoupçonnées. Et elle constatait le regret de la voir partie chez les plus instinctifs et les plus rudes, comme le vieil Hamburu, ou la Patchicore qu’après l’enterrement de son père elle avait recueillie. Joseph, soucieux, semblait se demander si on emmènerait les chevaux. Et la femme de charge, Augustine, comptait d’un air mécontent les piles de linge dans les grandes armoires ; elle connaissait Paris, on n’y a pas ses aises…

Gabrielle aurait pu faire fond sur son beau-père. Le colonel Dopsent, tout d’abord, avait marqué son incrédulité, puis son incompréhension stupéfaite et sourdement irritée : à quoi pensait Maurice ? Quelle mouche le piquait ? Devenait-il fou ? Le vieillard, dans la simplicité de son jugement, n’avait pas une très haute idée de la carrière politique. Que son fils allât bénévolement grossir le nombre de tant d’incapables, médecins sans clientèle, avocats bavards, lui, Maurice Dopsent, un gaillard pareil, cela le passait ! Encore s’il n’y avait à la Chambre que des hommes comme lui !

Ce que par pudeur fière il n’ajoutait pas, Mme Dopsent la mère le laissait deviner ingénument:leur tristesse de songer qu’il les quitterait, si âgés, si heureux de jouir quelques dernières années de sa présence; et avec lui, sa femme qu’ils