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LA MORT DE TALLEYRAND.

Vous me demanderez peut-être maintenant pourquoi cette pièce n’a pas suffi, et pourquoi, sur-le-champ, elle ne fut pas envoyée à Rome. C’est que, malgré les excellentes choses qui s’y trouvaient et qui avaient le mérite d’être parfaitement spontanées, cette pièce parut encore trop incomplète et vraiment insuffisante. Je vous l’ai dit, M. de Talleyrand cherchait à s’y excuser. Cela se conçoit ; mais cela était peu digne de la haute gravité d’une déclaration semblable… Il s’y trouvait cependant une excuse convenable, d’une haute délicatesse, qui a été conservée dans sa lettre au Pape ; la voici : « Le respect que je dois à la mémoire de ceux de qui j’ai reçu le jour ne me défend pas de dire que toute ma jeunesse a été conduite vers une profession pour laquelle je n’étais pas né. » Il est certainement impossible d’exprimer avec un respect plus délicat ce qui était vrai au fond, et ce qui avait été pour lui le plus grand des malheurs.

Mais on jugea avec raison qu’il n’était pas assez explicite sur les obligations imprescriptibles du caractère sacerdotal dont il avait été revêtu. « Délié par le vénérable Pie VII, » dit-il : ces paroles ne suffisaient pas ; M. de Talleyrand avait été délié de l’exercice des fonctions ecclésiastiques, mais non délié de ses vœux ; il avait cessé d’être un des ministres actifs de l’Eglise, mais il n’avait pas cessé d’en avoir le caractère ineffaçable. C’étaient là des choses fort importantes, qui ne se trouvaient pas dites assez clairement, et qu’il fallait déclarer, pour réparer devant l’Eglise le scandale d’un mariage sacrilège. On doit pourtant remarquer que M. de Talleyrand avait antérieurement expliqué sa pensée de manière à laisser peu de chose à désirer. Dans ce même testament qu’il avait rouvert pour déclarer qu’il voulait mourir dans le sein de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, on lisait cette phrase : « Délié par le vénérable Pie VII, j’étais libre. » J’étais libre, était une erreur, il le reconnut, et, raturant de lui-même ces mots, il les avait remplacés par ceux-ci : « Je me croyais libre. » Cette rectification était claire, satisfaisante. Mais, dans une déclaration officielle, que M. de Talleyrand voulait mettre sous les yeux du chef de l’Eglise, ce sens clair et satisfaisant devait se trouver plus que jamais, l’obscurité à cet égard, jointe à l’absence des formes ecclésiastiques, nécessaires dans une pièce de cette importance et de cette solennité, nous obligea à lui demander une