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LA CRUE DE LA SEINE.

éclaircir. On constate, en effet, que le plus ordinairement ; et contrairement aux faits auxquels nous venons d’assister, les pluies même très fortes n’ont pas de contre-coup, au moins immédiat, quant au volume de la rivière. On a même noté la persistance de la baisse pendant des périodes de pluie. Les faits résumés plus haut nous donnent directement la raison de vicissitudes de ce genre. En effet, par leur nature, les terrains perméables sont appelés à absorber non seulement l’eau sauvage qui tombe à leur surface sous forme de pluie, mais encore celle qui peut leur être amenée par le ruissellement des régions étanches situées en contre-haut. Nous avons vu ces contributions, même volumineuses, donner lieu à une zone mouillée qui, descendant lentement au travers du terrain, s’achemine vers le niveau d’eau sous-jacent avec lequel elle se conjugue plus ou moins vite. Les sources alimentées par ce niveau d’eau pourront subir, après un laps de temps parfois très long, un accroissement qui ne prendra point le caractère désastreux de l’inondation proprement dite.

Mais si les chutes d’eau se succèdent en assez grand nombre pour apporter à la nappe, même par petits paquets, des contributions suffisantes pour lui donner à la longue toute l’épaisseur de la couche perméable à laquelle elle est subordonnée, celle-ci se trouve « saturée, » selon l’expression admise, et alors toutes les conditions précédentes sont absolument modifiées. À partir de ce moment, le terrain considéré change de caractère : de perméable qu’il était, il devient étanche par excès d’humidité. Ses pères ou ses fissures étant gorgés d’eau, il oppose à la pluie un obstacle aussi insurmontable que le ferait un lit continu de l’argile la plus serrée. Dès lors, tout ce qui tombera des nuages à sa surface y ruissellera et, pendant que le sol aura subi la transformation qu’on vient de dire, le régime de la rivière, de son côté, se métamorphosera et deviendra torrentiel.

Pendant la soirée du 28 janvier 1910, la Seine, au pont des Saints-Pères, faisait, dans le silence de la nuit, un bruit comparable à celui des torrens des Alpes ou du Jura, de l’Arve ou de l’Areuse.

Naturellement, une fonte subite de neige sur ce terrain saturé d’eau déterminera exactement les mêmes effets que la pluie. Il est presque inutile d’ajouter que des travaux inconsidérés peuvent, en changeant l’état de la surface du sol,