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UN SIÈCLE D’ART FRANÇAIS À BERLIN.

C’est l’histoire ordinaire. Et les raisons de cette ignorance sont très aisées à discerner. D’abord, s’il y a beaucoup de peintures françaises en Allemagne, on ne les trouve guère dans les galeries publiques. La plupart appartiennent aux collections des princes, et ces collections ne sont pas des musées. Et puis, les successeurs de Frédéric n’eurent pas les mêmes goûts que lui. Ses collections après sa mort subirent une noire éclipse. Elles furent méprisées, pis encore : oubliées. Ce fut alors, pour les bergers et les bergères de Watteau, au fond des châteaux de Potsdam, le sommeil séculaire de la Belle au Bois dormant. On ne savait même plus ce qu’ils étaient devenus. Il fallut les redécouvrir, et le mérite en revient au père de l’Empereur actuel. C’est ce prince, alors prince royal, qui ressuscita, on peut le dire, ce petit monde évanoui. Mais avons-nous le droit de reprocher à l’Allemagne cette longue période d’oubli ? Et ne lui en avions-nous pas nous-mêmes donné l’exemple ? Et enfin, comme on va le voir, les œuvres de notre école conservées en Allemagne appartiennent presque toutes à une seule époque ; elles sont comprises pour la plupart dans l’espace "qui s’étend de la mort de Louis XIV à la guerre de Sept ans. Peu de chose avant et rien après. À partir de 1760, les collections s’arrêtent : le fil de l’histoire se rompt.

Tels sont les faits qui ont dicté le programme de l’Exposition. Peut-être aurait-on pu en concevoir un différent. Mais on ne se proposait pas d’instruire les Parisiens, et particulièrement les érudits et les critiques. L’objet était ici d’offrir au public de Berlin une revue d’ensemble d’un siècle de notre art, et de faire aimer notre génie à l’heure où, moins sévère et moins grand peut-être qu’à d’autres époques, il fut assurément le plus vif et le plus aimable. Si c’est bien cette vue qui a présidé au choix des organisateurs, il était impossible d’en souhaiter un meilleur, ni d’être, en moins de pages (moins de quatre cents numéros), plus « expressif » et plus complet.

Ce qui frappe tout de suite, dans cette exposition, c’est la variété. D’abord, selon la méthode ingénieuse adoptée au nouveau Musée, on a entremêlé de la façon la plus heureuse les diverses branches de l’art, les sculptures et les tableaux, les tentures et quelques meubles : on évite par-là une certaine froideur. L’ensemble prend un air plus naturel et moins pédant. Ce n’est pas tout. Cet art, qui, de loin et un peu superficiellement,