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Et d’un regard affectueux et navré, elle se sépara d’eux, de la Pierre Bleue, du parc, des grands collies Dick et Pussie que le jardinier retenait à plein collier, de toutes ses forces. Laissés là comme gardiens du domaine, ils poussaient des abois désespérés. Les enfans eux-mêmes en furent émus.

— Au revoir, père ; au revoir, mère !

Dans ce regard des vieux parens, quelle détresse ! Les chevaux piaffèrent. Gabrielle sourit, en se mordant les lèvres pour ne pas fondre en larmes.

— Adieu, adieu… Bon voyage !

La route, les grands arbres : la Pierre Bleue, l’étang, Hossegor, tout disparut…


VII

M. Francis Wats, poste restante, Naples (Italie).
Mon cher parrain.

Qu’il y a longtemps que je n’ai de vos nouvelles ! Ont-ils donc la grève des postes en Turquie ? Je suppose que votre voyage s’est heureusement accompli et je veux que cette lettre vous souhaite, sitôt débarqué, la bienvenue. Je vous vois très bien à Naples, depuis que nous y avons passé quelques jours cet été, Maurice et moi : les salles fraîches du Musée, la rue de Tolède grouillante de gens, les ruelles en escalier d’où dégringolent des troupeaux de chèvres, la mer d’un bleu violet, Naples d’ivoire, le soir, quand on revient du Pausilippe, les huîtres du Lucrin, les claies de macaroni qui sèchent dans les rues, le soleil et la vermine, les pianos mécaniques, les petits chevaux rapides comme le vent, les lessives qui pendent aux fenêtres, et des fleurs, des fleurs, des fleurs recouvrant la misère, la saleté, embaumant cette insouciante joie de vivre.

L’Italie, l’Algérie, la Tunisie, voilà quelles ont été nos vacances parlementaires : vous le savez, direz-vous, et moi, je m’en étonne encore. À peine quelques jours à Hossegor pour y confier les enfans à leurs grands-parens ; toute la France en automobile un malheureux chien écrasé entre Bordeaux et Arcachon, une panne aux portes de Toulouse, et un pont mal viré près du Trayas ; accrochés dans le vide au garde-fou, comme un rapide arrivait : émotions modernes !