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qui aura quatre ans devant elle montrera un grand courage. Avons-nous besoin de dire que nous n’en croyons rien ? La Chambre prochaine rejettera sur sa devancière la difficulté d’une situation dont elle déclarera n’être pas responsable ; elle recourra alors définitivement à des expédiens qu’on représente aujourd’hui comme provisoires, et qui ne sont autre chose que l’emprunt. Le budget de 1910 se bouclera par un emprunt à court terme ; les budgets futurs se boucleront par un emprunt perpétuel. Nous voilà bien loin des projets financiers que M. Cochery avait présentés avec tant de force et qu’il s’était juré de faire voter par la Chambre ! C’était un beau rêve, mais ce n’était qu’un rêve. Comment espérer que la Chambre voterait 200 millions d’impôts nouveaux à la veille des élections ? Et ce n’est plus aujourd’hui 200 millions qui seraient nécessaires, mais 300, augmentation due en partie aux accroissemens de dépenses dont nous avons parlé, en partie aux inondations dont la France vient d’être affligée, et qui ont causé des désastres auxquels il faut pourvoir. Il va sans dire qu’on met tout au compte de l’inondation. Quelque grande qu’elle soit, la volonté de M. le ministre des Finances a fléchi devant tant d’obstacles. Il conservera le mérite d’avoir dit la vérité, alors que ses prédécesseurs s’appliquaient à la masquer ; nous savons par lui quel est le véritable déficit du budget ; mais il s’était fait fort de le combler avec des ressources ordinaires, c’est-à-dire avec des impôts, et il y renonce pour le moment. Cette seconde moitié de sa tâche sera accomplie l’année prochaine, et sans doute toujours l’année prochaine, c’est-à-dire une année qui ne viendra jamais. Nous sommes, en effet, menacés de dépenses nouvelles qui s’élèveront encore à une centaine de millions et rendront de plus en plus difficile la tâche d’un ministre des Finances soucieux de ses devoirs, comme l’est M. Cochery.

Entre lui et M. le ministre de la Marine, s’est continuée la lutte qui avait commencé entre M. Caillaux et M. Picard, lutte douloureuse, puisque son dénouement compromettra inévitablement, ou la solidité de nos finances, ou celle de notre marine. On a fait, comme il arrive presque toujours en pareil cas, une cote mal taillée. Nos finances n’y gagneront rien, ou pas grand’chose ; elles seront seulement écrasées sous un autre fardeau ; mais notre marine tombera au quatrième ou au cinquième rang. Le cœur se serre à cette pensée. Il y a quelques années, la marine française était la seconde ; elle venait à une distance notable de la marine anglaise, mais immédiatement après elle ; depuis, plusieurs autres se sont intercalées entre elles deux. La réforme de notre artillerie s’impose, elle aussi. On dispute à la