Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
232
REVUE DES DEUX MONDES.

que l’affaire était sérieuse : il a donné au gouvernement une majorité de 95 voix. Mais ces batailles recommenceront, elles se poursuivront avec acharnement, elles prendront les formes les plus variées et quelquefois les plus dangereuses. Dieu seul sait quel en sera le dénouement final.

Elles sont dangereuses parce qu’elles se livrent sur un terrain où la défense est difficile : c’est une grande imprudence de s’y être placé. Il s’en faut de beaucoup que la loi sur les retraites ouvrières soit populaire parmi les intéressés ; elle semble plutôt être impopulaire. Nous laissons de côté les déclamations de la Confédération générale du travail et des groupes révolutionnaires, qui croient que le bien est ennemi du mieux et attendent d’une catastrophe violente la rénovation de la société. Mais en dehors d’eux se produisent des objections très spécieuses. Elles portent sur la limite d’âge de soixante-cinq ans qui ne permettra qu’a une minime proportion d’ouvriers d’arriver à la retraite ; puis sur le chiffre de la retraite qui est jugé trop faible ; enfin sur les inégalités maintenues entre les bénéficiaires de la loi. La presse socialiste, et même radicale, déclare très haut que toutes ces dispositions devront être modifiées. La réponse n’est pas toujours facile. Elle l’aurait été si la liberté, au lieu de l’obligation, avait été mise à la base de la loi. Alors le législateur aurait pu dire : Voilà les avantages que je vous offre, je ne puis pas les augmenter ; si vous les trouvez suffisans, assurez-vous ; dans le cas contraire, vous êtes libre de ne pas le faire. Il n’y aurait eu rien à reprendre à ce langage, qui aurait eu plus de force encore, s’il avait été tenu par des sociétés de secours mutuels subventionnées par l’État, au lieu de l’être par l’État lui-même. Mais que dire à un ouvrier qu’on oblige à s’assurer et qui estime insuffisans les avantages qu’on lui accorde ? Il ne demandait rien ; on lui impose une contrainte ; il n’est pas libre de s’y soustraire. Qui pourrait s’étonner, s’il discute, s’il se plaint, et même s’il se fâche un jour ?

Qu’on nous pardonne de revenir sur ces considérations que nous avons déjà exprimées : elles appartiennent à l’avenir encore plus qu’au passé. Le sort en est jeté. Il n’y a aucune chance de faire revenir le Sénat sur ses votes. La seconde lecture du projet aboutira aux mêmes résultats que la première. La loi sera renvoyée telle quelle à la Chambre. Notre seule espérance est que, lorsqu’elle y arrivera, on sera trop près des élections pour que la Chambre ait le temps d’y changer grand’chose, c’est-à-dire de l’aggraver.


Quel que soit l’intérêt des événemens qui se passent dans le reste