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REVUE. — CHRONIQUE.

Les conservateurs, en effet, se sont résignés au budget ; pour eux, c’est la part du feu ; c’est une position de combat qu’ils considèrent comme perdue et qu’ils abandonnent. Mais sur les questions de principe qui se rattachent à l’existence et aux attributions de la Chambre des Lords, ils sont résolus à ne pas céder. Les choses en sont là. M. Asquith n’est pas au bout de ses peines et le gouvernement libéral n’est qu’au second acte d’un drame qui promet d’en avoir encore plusieurs. Quant à nous, nous ne formons qu’un vœu, et nous l’avons déjà exprimé, à savoir que l’Angleterre sorte de la crise aussi forte, plus forte même qu’elle n’y est entrée. Le robuste bon sens des Anglais n’est pas incapable, au prix de quelques épreuves, d’en assurer la réalisation.


Une crise ministérielle s’est produite en Espagne : elle aboutira peut-être à une dissolution des Cortès et à des élections nouvelles. Cette solution, à vrai dire, aurait dû se produire plus tôt, et c’était une sorte de gageure de la part de M. Moret de continuer à gouverner, après la chute de M. Maura, avec une majorité que celui-ci avait formée. On se rappelle dans quelles conditions M. Maura est tombé. M. Moret, mécontent de l’attitude du ministère à son égard, avait lancé contre lui une sorte d’excommunication majeure et d’interdit : il avait déclaré qu’il n’aurait plus de rapports avec lui, et en Espagne un ministère, pour vivre, a besoin d’un certain degré de tolérance de la part de ses adversaires. Aussi M. Maura a-t-il donné sa démission, mais il n’a pas pardonné à M. Moret. Celui-ci a été appelé à se démettre pour des motifs restés un peu obscurs ; on lui a reproché, ce qui, au premier abord, est peu vraisemblable, d’avoir été trop favorable aux républicains, et ce qui est plus surprenant encore, dans l’hypothèse où ce prétexte serait vrai, est que le Roi ait eu recours, pour remplacer M. Moret, à un ministre sensiblement plus avancé que lui.

En effet, M. Canalejas est un radical, homme distingué d’ailleurs, et qui jouit de la confiance du Roi, puisque celui-ci lui a donné, dit-on, pour en user au moment qu’il jugerait opportun, un décret de dissolution des Cortès. Il semble que M. Canalejas ait eu besoin de ce décret pour agir sur le parti libéral encore plus que sur la Chambre. Les Chambres espagnoles ne renversent guère les ministres, et M. Canalejas aurait pu continuer de gouverner avec celle d’aujourd’hui comme l’avait fait M. Moret. L’opposition de M. Moret est plus gênante pour lui. M. Moret, en effet, n’a pas accepté de bonne grâce la mise en demeure qui lui a été adressée de donner sa démission ; il l’a