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LE ROMAN FRANÇAIS.

il était un gentilhomme, et avec lui la science, quittant sa robe noire, revêtit le pourpoint et le manteau d’un gentilhomme, et dans cet équipage, elle peut entrer librement dans les salons sans crainte d’y paraître déplacée.

C’est un très grand siècle que le xviie siècle, et il n’est point de siècle complet sans la philosophie. Toute civilisation produit nécessairement en quelque sorte sa philosophie. Car tout svslème est le résumé et la conclusion d’expériences faites par l’humanité ; tout système est une vue du monde qui résulte d’un développement nouveau de la société et de la pensée humaine. Ainsi une philosophie est plus ou moins l’œuvre du siècle où elle est née, et il ne faut pas attribuer à son influence toutes les harmonies qui se voient entre elle et l’esprit dominant de l’époque qui l’a vue naître. Avant que le cartésianisme fût devenu une puissance, il y avait dans la société française de ce temps des instincts spiritualistes. Corneille en fait foi. Et les romans eux-mêmes de Mlle de Scudéry, ces pauvres et longs romans dont nous avons dû dire tant de mal, — puisse l’ombre de Sapho nous le pardonner, — ces longs romans, ils tiennent eux aussi pour l’esprit contre la matière. Les précieuses étaient des spirituelles, c’était le nom qu’elles se donnaient à elles-mêmes, et vous savez le peu d’état que Philaminte, Armande et Belise faisaient du corps. Elles le traitaient de guenille. Sur quoi le bonhomme Chrysale se redresse et s’écrie : « Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère ! »

Mais si ce n’est pas la philosophie qui crée l’esprit, le génie d’une société, elle agit sur les instincts naturels de cette société en leur donnant pleine conscience d’eux-mêmes ; elle la met en état de réfléchir sur elle-même, de se connaître, elle lui révèle son propre secret et, par là, elle transforme ses aspirations en principes fermes et arrêtés, elle lui rend possible la conséquence, elle change son tempérament en caractère. Car il en est des sociétés comme des individus ; c’est à la réflexion qu’elles doivent d’avoir un caractère, et les philosophes sont des hommes qui forcent tout le monde à réfléchir avec eux.

Ne nous étonnons donc pas qu’à la fin du xviie siècle, le cartésianisme envahisse la société. Elle se reconnaît en lui, elle le reconnaît pour sien. D’ailleurs la Renaissance a fait son œuvre. L’idéal de l’homme complet, renouvelé de l’antiquité, a passé dans la pratique. L’homme d’action, l’homme d’épée ne dédaigne pas