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DIMANCHES ANGLAIS CONTEMPORAINS.

soutenir et ne le soupçonnait pas de pouvoir l’ébranler. Et voici pourtant que, par des chemins invisibles et des communications imprévues, l’infiltration de la science désagrège les fondemens de la foi ou plutôt de l’édifice théologique où le jeune pasteur logeait ses croyances. On peut supposer que cet édifice n’était pas très solide, et nous avons vu, en effet, que Robert s’y était installé avec son enthousiasme juvénile et ses généreuses ardeurs, sans en bien connaître la structure, sans en avoir sondé les assises, sans avoir éprouvé la résistance des matériaux et contrôlé la rigueur de leur agencement. Admirable témoignage de l’esprit national anglais et de sa fusion intime avec l’esprit religieux, l’anglicanisme reste un compromis de fait entre l’autorité et la liberté ; il emprunte à la Réforme le principe du libre examen, qu’il limite aussitôt à un très petit nombre de dogmes, et ne se sépare guère, en fin de compte, du catholicisme que par le refus d’accepter la suprématie du pontife romain. C’est, logiquement, si l’on ose dire, un catholicisme décapité : pour l’esprit qui essaie de se le justifier à lui-même, il n’est plus viable ; il ne s’arrêtera plus, de dissidences en dissidences, qu’à la libre pensée religieuse. Rien n’est plus caractéristique de la race anglo-saxonne que l’attitude religieuse dont Mme Ward nous offre dans Robert Elsmere un modèle remarquablement étudié. Robert est le chrétien anglais qui a des exigences intellectuelles. Ils sont nombreux dans ce cas. Croyans et pratiquans, ils se mettent en règle avec l’intelligence et ce qu’ils croient être ses droits, en humanisant et rationalisant la religion, le mystère, la révélation, en diminuant ou supprimant l’autorité, en transformant en ce sens la notion d’Église. Ils prennent ainsi position entre la libre pensée à la manière française et latine, qui est le triomphe de l’intellectualisme radical, — théorique et pratique, — et le catholicisme, qui fait de l’autorité la sauvegarde contre les usurpations de l’intelligence, illégitimes dans la région de l’Absolu.

De ce point de vue, le progrès religieux consiste à dégager la vérité des formules qui en sont l’imparfaite expression. Robert Elsmere ne paraît pas se douter qu’il les change seulement et qu’aux anciennes il en substitue de nouvelles, plus larges parce qu’elles sont plus vagues, tout aussi inadéquates d’ailleurs à l’objet transcendant qu’il est inutile et illusoire de vouloir atteindre par des approximations successives de l’intelligence. Le pauvre Robert Elsmere est donc victime d’une candide