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elle accompagne la gravité et l’émotion, comme dans nos œuvres de critique ou de polémique, dans la littérature militante et brillante de notre xviiie siècle, par exemple, l’ « esprit » jaillit du choc même des idées et s’allume sur toutes les surfaces où joue un rayon de l’intelligence. Oui, la poésie est naturelle à tout véritable réalisme, parce qu’il n’y a rien de plus poétique au monde que la réalité, la nature, la vie, les âmes.

Dégager cette poésie, la rendre visible et sensible, c’est idéaliser sans doute, ce n’est pas embellir ni farder. Il s’est établi chez nous une confusion fâcheuse à cet égard. L’origine en remonte à ce culte de la laideur et de la grossièreté, qui a tyrannisé un temps notre littérature et y a usurpé le nom de « réalisme. » Par un singulier abus, bassesse et vérité tendaient à devenir synonymes. Nous sommes évidemment, avec des romanciers comme Mme Humphry Ward, en face de la conception contraire. La vérité de la vie est belle et haute ; c’est cette vérité qu’il importe de voir et de promouvoir. S’il y a de l’hypocrisie dans la religion anglaise, ce n’est pas cette hypocrisie qui nous apprendra quel secours l’esprit religieux des Anglais apporte à leur vie. S’il y a du désœuvrement, du spleen et des excentricités, dans l’aristocratie anglaise, ce n’est ni dans ces excentricités, ni dans ce spleen, ni dans ce désœuvrement, qu’il faut chercher l’explication de sa force ou le prestige de son rôle. Si l’amour y a comme ailleurs ses faiblesses, la sensualité ses dégradations, ce n’est point à elles qu’il faut demander ce que peut être et ce que doit être l’amour pour agrandir la vie, ce qu’il est quelquefois dans de nobles cœurs qui ont su le mériter et le conquérir. Assez d’autres esprits, portés à la satire, et le spectacle même du train ordinaire des choses, nous rappelleront que l’homme n’est pas un ange et qu’il n’a guère lieu de s’en faire accroire ! L’Angleterre en particulier ne manque ni de moralistes chagrins ni d’humoristes désenchantés. Pourquoi le pays de Thackeray ne serait-il pas aussi bien celui de George Eliot ou de Mme Humphry Ward ? Et pourquoi reprocherions-nous à celle-ci d’avoir, entre tant de vérités que nous enseigne la vie, retenu surtout que la fleur est la raison d’être de la tige, et que, si la tige s’enracine dans le sol, elle se dresse vers le ciel et fleurit dans la lumière ?

Aussi bien, de quelque façon qu’on entende l’idéalisation, l’auteur de la Fille de lady Rose et du Mariage de William Ashe