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DIMANCHES ANGLAIS CONTEMPORAINS.

n’en a pas abusé dans ses romans. Si, par leur inspiration même et leurs conclusions, ils sont très nobles et très purs, le détail en est presque toujours très objectif et très exact. Sauf peut-être pour le catholique Helbeck et son entourage, qui paraissent plus superficiellement observés, Mme Humphry Ward ne nous peint jamais que des milieux très familiers, dont elle a une connaissance parfaite. Et elle les peint sans parti pris. La vieille lady Henry, lord Lackington, sir Wilfrid, le journaliste Meredith, dans la Fille de lady Rose, sont des figures étonnantes de précision et de vérité : je ne serais pas surpris qu’elles fussent des portraits. Mr et Mrs Boyce, dans Marcella, William Ashe et la malheureuse Kitty, ne nous sont-ils pas présentés tels quels, avec ce qu’ils ont de bon et de mauvais, leurs faiblesses, leurs tares ? Et quoi de plus vrai que les Masson, Hubert surtout, dans Helbeck de Bannisdale ?

On relèverait plus justement, il me semble, une certaine exagération dans le dessin de quelques figures, en vue de leur donner plus de caractère et d’expression. Encore n’oserais-je affirmer que dans cette Angleterre où la vie mondaine n’a pas exercé la même action que chez nous, où la vie individuelle est restée si forte et où par suite, comme je le remarquais à propos des romans de George Meredith, il y a tant d’originaux, on ne puisse rencontrer un Jacob Delafield, avec son mysticisme sombre et la flamme intérieure couverte d’un épais manteau de cendres. Mais il y a sans doute quelque artifice dans le romanesque personnage de Cliffe, ce Byron démarqué.

On ne saurait trop admirer qu’il n’y en ait pas chez beaucoup d’autres. Car le procédé de Mme Ward est dangereux : elle aime emprunter à la réalité des situations qui deviennent le point de départ de ses romans, et des caractères, qu’elle modifie selon sa propre expérience, en les plaçant dans des conditions qu’elle connaît bien. Le mariage de William Ashe ressemble fort à l’histoire de lord Melbourn, de lady Mary Lamb et de Byron. La Carrière de Fenwick est manifestement inspirée de la vie du peintre Haydon que son orgueil maladif, ses embarras d’argent, ses démêlés avec l’Académie, ses déceptions conduisirent au suicide. Enfin, nous avons tous reconnu, dans la donnée initiale de la Fille de lady Rose, l’aventure de Julie de Lespinasse et de Mme du Deffand : combien transformée, adaptée au milieu, enracinée dans la vie anglaise ! Il est peu de romans plus anglais, peu de