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en Russie, jusqu’au jour où son jeune mari devint empereur. Les deux autres volumes parus depuis, et le troisième, il y a quelques jours à peine, nous conduisent jusqu’à la fin de sa vie. La première lettre qu’étant impératrice elle écrit à sa mère est datée du 16 mars 1801 ; la dernière, qui clôt le troisième volume et ne précède sa mort que de quelques jours, porte la date du 26 avril 1826.

C’est donc à travers les événemens qui se sont déroulés en Europe entre ces deux dates, qu’en éclairant notre route à l’aide des confidences de l’impératrice Elisabeth, je convie le lecteur à me suivre, non sans lui faire remarquer que ce suggestif retour vers un passé mémorable s’embellit ici de tout ce que peuvent présenter de piquant et de touchant à la fois les aveux d’une fille à sa mère, quand cette fille est la compagne d’un grand souverain et quand aux impressions qu’exercent sur elle les grandeurs et les revers de son pays d’adoption, elle mêle le récit de ses douleurs d’épouse et de mère, de ses désillusions, de ses longues tristesses et de ses rares joies.


I

Au moment où le trépas tragique de Paul Ier appelait son fils aîné le grand-duc Alexandre à lui succéder, ce prince avait vingt-quatre ans et sa femme vingt-deux. Restée volontairement depuis son mariage en dehors des intrigues de la Cour, Élisabeth était résolue, maintenant, quoique son mari régnât, à persévérer dans cette attitude et surtout à ne se mêler en rien des affaires de l’État. Peut-être, parce qu’elle ne faisait pas mystère de ses intentions, s’était-on trop accoutumé à la traiter un peu comme une quantité négligeable : on l’aimait, on l’estimait ; on vantait partout ses qualités et ses vertus ; mais il semblait entendu qu’autant elle méritait le respect, autant on devait tenir pour nulle son influence. Cette opinion qu’on avait d’elle, au commencement du règne, se précisera peu à peu, sans qu’elle fasse aucun effort pour la détruire. Elle paraît même s’y complaire et la subir avec satisfaction. Elle est convaincue qu’en s’y maintenant, elle répond aux désirs de son mari. Les années passeront, et rien ne sera changé, bien loin de là, dans le rôle qu’elle s’est choisi. En 1817, le grand-duc Nicolas Pavlovitch, le plus jeune des frères de l’Empereur, à la veille d’épouser la princesse