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démence. Et ce que je dis d’Armaury s’applique aussi bien à Diane de Charance. Est-ce une malade, et son cas relève-t-il de la pathologie ? Nous n’aurions alors qu’à nous incliner devant l’ « observation » du clinicien, et nous savons de reste que nous avons le choix entre toutes les « monstruosités. » Mais l’auteur ne nous donne aucune indication en ce sens. Cette histoire est-elle l’aventure d’un dément et d’une hystérique ? On nous la donne pour une histoire d’amour entre deux êtres sains de corps et d’esprit. C’est contre quoi nous protestons de toutes nos forces.

Revenons au récit des événemens. Tout est prêt pour la fuite des amoureux. Une automobile est commandée qui les mènera vivement à la frontière. Déjà on entend ronfler le moteur. Mais de la voiture une personne descend : c’est Mme Armaury. On n’a que le temps de cacher Diane dans un petit local. La femme trahie, mais toujours aimante, essaie de rappeler son mari au devoir, de le sauver… lorsqu’on aperçoit traversant la cour un visiteur. C’est Gaston de Charance, le frère de Diane, qui, instruit de l’escapade de sa sœur, vient la chercher. Dans cette maison de Charance où naguère on ignorait tout, maintenant tout se sait. A vrai dire, on sent un peu trop ici le moyen de théâtre, l’artifice, la combinaison laborieuse. L’auteur a fait venir de loin ses personnages et préparé de longue main les choses pour arriver à une situation particulièrement poignante. Mme Armaury a pris la clé du petit local où Diane est enfermée. Elle refuse de s’en dessaisir. Soudain, au dernier moment, elle remet cette clé à son mari, afin que celui-ci, pendant qu’elle-même détourne l’attention de Gaston, fasse sortir Diane et la conduise à l’automobile qui la ramènera chez ses parens. Armaury prend en effet la clé, et délivre Diane… seulement, il file avec elle. La minute pendant laquelle Mme Armaury, l’oreille aux aguets, l’esprit tendu, écoute, tâche de deviner dans quel sens se décide son avenir, reçoit enfin ce coup atroce : la certitude du départ, de la fuite à deux, de l’enlèvement, est, de toute évidence, éminemment pathétique. Elle le serait davantage encore si nous n’y avions l’impression d’un escamotage, où c’est la vérité humaine elle-même qui est escamotée. Voici une femme qui continue d’aimer son mari, qui le sait méprisable et vil, qui veut le sauver à tout prix. Jamais, au grand jamais, elle ne l’enverra à sa rivale. Jamais elle ne courra le risque que celle-ci le lui reprenne. Jamais elle ne jouera, volontairement, tout son amour, tout son bonheur, toute sa raison de vivre sur cette carte. Dans la situation telle qu’elle était posée, Mme Armaury devait laisser Gaston et son