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veut des jardins d’Armide ? Antoine et Françoise préfèrent disserter — longuement, très longuement et dans un style dépourvu de simplicité, — sur leur amour et ses particularités. C’est assez, c’est plus qu’il n’en faut pour éveiller la jalousie de Geneviève. Elle écrit à son père. Par le premier train, Thésée, je veux dire M. de Vigier, accourt. Avec ce nouvel arrivant, la pièce bifurque et tourne au drame.

M. de Vigier a d’abord interrogé sa fille. Cet interrogatoire se continue par une confrontation des coupables. Les coupables ne le sont encore que d’intention. C’est trop, beaucoup trop. Homme de décision, encore qu’il soit phraseur et diffus dans ses propos, M. de Vigier a vite fait de prendre un parti. Il aime sa femme et entend la garder. Antoine et Geneviève vont donc s’éloigner. Lui reste avec Françoise.

Au troisième acte, scène des adieux. Antoine, qui jusqu’ici s’est montré un assez piètre amoureux, se sent tout à coup brûlé d’une flamme dévorante. L’automobile qui doit remmener à Palerme avec sa femme est là, — l’automobilisme est en pleine faveur au théâtre ; — que Françoise prenne la place de Geneviève, et en route ! Ce beau projet est aussitôt mis à exécution. Mais Geneviève veille. Chasseresse convaincue, elle a toujours une carabine à portée de la main. Elle la saisit et tire sur Françoise. Le coup de feu au dénouement est redevenu très à la mode, cette saison.

Mme Réjane a été très émouvante dans son rôle de Phèdre bourgeoise qui finit, vaincue, par s’abandonner à la passion qu’elle-même a déchaînée. Mlle Sylvie s’est tirée à son honneur du rôle de Geneviève. M. Signoret n’a que le rôle d’un personnage de second plan, mais il le joue avec une gaieté dont le besoin se faisait sentir dans ce drame alambiqué !


Il me reste à peine quelques lignes. Je ne veux pas étrangler l’analyse du très curieux drame italien que M. Richepin vient d’adapter à la scène française et qu’il a habillé de son verbe somptueux. Je le remets donc à une autre fois. Mais je dois tout de suite dire le prodige qu’a été Mme Sarah Bernhardt et l’indirecte leçon que sa belle, et nette et poétique diction inflige aux interprètes de Chantecler.


RENE DOUMIC.