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dent seront insérées dans la première loi de finances présentée après la promulgation de la loi sur les retraites ouvrières. » On peut se demander si une assemblée in extremis a le droit d’engager ainsi l’avenir : la prochaine Chambre sera libre de n’accepter son héritage que sous bénéfice d’inventaire. Mais, cette fois, la violation du principe de l’unité budgétaire est manifeste. Ce que le Sénat n’a pas fait en insérant l’article 25 dans la loi sur les retraites ouvrières, la Chambre l’a fait en votant la proposition de sa Commission du budget, et M. Thierry a eu bien raison de protester contre ; il aurait même pu le faire avec plus de force, si la Chambre fatiguée, épuisée par un long débat, avait été à même d’en entendre davantage. M. Cochery a essayé de tourner la difficulté en promettant d’assurer l’équilibre du budget de 1911 par des ressources prises complètement en dehors des droits successoraux. Le bon billet que voilà ! La promesse de M. Cochery fait rêver lorsqu’on songe que, sans attendre le budget de 1911, celui de 1910 ne s’équilibre qu’avec un emprunt fait aux droits successoraux. Au surplus, pourquoi prendre spécialement ces droits-là et déclarer qu’ils serviront aux retraites ouvrières ? M. Jaurès et la Chambre auraient tout aussi bien pu affecter à cette dépense une tranche quelconque coupée hypothétiquement dans le budget. Le résultat aurait été le même. Il faudra toujours, comme l’a dit M. le ministre des Finances, mettre en balance la totalité des dépenses et la totalité des recettes : vérité certaine, que l’unité budgétaire a pour objet de rendre plus évidente aux yeux. Fidèle aux principes, la commission du Sénat les a fermement maintenus. Son rapporteur, M. Ferdinand-Dreyfus, lui propose, pour l’article 25, la nouvelle rédaction que voici : « La présente loi sera applicable dans le délai fixé par la loi de finances comprenant les ressources générales nécessaires à son fonctionnement. » Cette rédaction est excellente : elle condamne les budgets spéciaux, en faveur desquels on commence aujourd’hui une campagne, et qui n’ont jamais eu pour conséquence, quand ils n’ont pas eu pour intention formelle, de masquer derrière des écrans une fraction des dépenses, et d’en rendre ensuite la totalisation plus difficile. Qui dit unité dit sincérité du budget. On comprend M. Jaurès. Les socialistes se proposent d’augmenter et, pour le faire plus aisément, d’embrouiller les dépenses, afin de venir ensuite avec leurs remèdes héroïques et de les imposer. Ils ont raison de combattre l’unité budgétaire ; mais que la Chambre, et surtout que la Commission du budget les suivent dans cette voie, il est difficile de l’expliquer.