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Française et non Napolitaine, qu’elle gouverne Naples dans l’intérêt de la France, dans les vues de l’Empereur. Sans cela, elle s’exposera à voir paraître un sénatus-consulte qui lui ôterait la couronne. Votre Majesté en serait fâchée. Permettez que d’amitié (vous me permettez, Sire, ce mot souvent étranger aux rois) je vous engage à changer de système, à agir en tout avec cette loyauté et cette franchise que je distinguais dans le général Murat. Si l’Empereur ne voulait plus que vous soyez sur le trône, il suffirait de sa volonté. Rendez heureuse la Reine, vos enfans ; vous devez penser à eux ; vous assurez leur bonheur en vous conduisant comme un vice-roi ; soyez un Roi tout français. Employez vos sujets, vos revenus, tous les moyens du royaume à la gloire de l’Empire, à seconder les vues de l’Empereur. Faites comme roi ce que vous avez fait comme soldat. C’est, Sire, une belle gloire pour un Français placé où est Votre Majesté. Que les Français soient à Naples comme à Paris. J’en conjure Votre Majesté ; qu’elle ferme l’oreille à des conseils perfides… Si cette lettre est pénible à écrire, je serais heureux qu’elle pût contribuer à éviter des chagrins à Votre Majesté. Sa conduite est facile à tenir quand, je le lui répète, elle sera française à Naples. Assurez donc, Sire, le bonheur de la Reine et celui de vos enfans en leur affermissant la couronne que vous portez… Ce que j’écris dans cette lettre prouve assez à Votre Majesté mon attachement et combien je compte sur ses bontés et sur son amitié[1]. »

On remarquera que dans cette lettre il était par quatre fois question de la Reine. Cette insistance prouvait à plein que l’Empereur lui conservait toute sa sollicitude, une affection fraternelle et presque paternelle. Dès lors, pouvait-il échapper au Roi qu’un seul être au monde, sa femme, restait à même d’approcher de sa part utilement l’Empereur, de pénétrer les vrais motifs de la colère dont le grondement s’annonçait si proche, d’intercéder en faveur du royaume, et peut-être de ménager un raccommodement ? Par la force des choses, dans cette passe critique, la Reine rentra en scène. Si pénible qu’il fût à Murat de remettre son sort entre les mains de celle qu’il avait voulu exclure de sa confiance, il s’y résigna. De son côté, Caroline, liée d’intérêt avec son mari, savait oublier ses griefs personnels dès qu’il

  1. Archives Murat.