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Leurs Majestés Impériales, et de remplir un devoir de convenance en allant saluer Marie-Louise : « Tu reconnais là Paulette, — écrivait Caroline, — car elle fait toutes ces choses sans y penser, sans y mettre aucune importance. À présent seulement, elle voit qu’elle a mal fait ; elle est bien fâchée et craint d’avoir déplu à l’Empereur. »

Pauline est effrayée du changement physique de Caroline et de l’altération de ses traits ; elle cherche à la consoler, à la distraire. À Paris, l’absence de l’Empereur mettait les membres de la famille en vacances. Ils vivaient sans représentation ni contrainte, assez simplement. On passait les soirées alternativement l’un chez l’autre ; on s’était arrangé, écrivait Caroline, « pour dîner un jour chez Maman, l’autre chez Paulette et le troisième chez mon oncle. » On profitait des derniers beaux jours pour aller en partie de campagne, Madame Mère, l’oncle, Caroline et Paulette, visiter à Morfontaine la reine Julie d’Espagne, revoir le parc sans pareil, empourpré des feux de l’automne. À Paris, en cette morte-saison, les élémens de distraction mondaine n’abondaient guère ; Paulette savait cependant en rassembler quelques-uns, et pour la Saint-Charles, fête de Caroline, voulut lui faire une surprise : « Paulette prépare pour ce soir un petit bal, — écrit Caroline ; — je dois l’ignorer, mais je le sais. » Les endroits publics tentaient peu la Reine : « Je ne suis pas encore allée au spectacle. » L’une de ses distractions favorites était d’aller presque chaque jour voir et caresser le Roi de Rome : « Tu sais combien j’aime les enfans ; celui-ci est charmant, et je passe deux ou trois heures avec lui le plus agréablement du monde. »

Son occupation presque quotidienne est d’agir sur Murat à distance. C’est tout un travail, un travail de Pénélope, que de calmer au jour le jour cet esprit inquiet, ce cerveau en ébullition, cette imagination démontée, ce grand ombrageux qui, à propos des moindres choses, s’irrite, s’alarme et s’offense. La correspondance de sa femme nous fait suivre ses sautes d’humeur et l’inconstance de ses impressions ; parfois, il paraît un peu rasséréné ; quelques jours passent et le voici retombé au plus bas de la désespérance : « Je vois que tu te tourmentes et que tu fais le malheur des autres pour les choses les plus indifférentes. Je désire tant de te voir heureux et je crois qu’il te serait si facile de l’être que je ne puis m’empêcher de te parler ainsi. »