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REVUE. — CHRONIQUE.

M. Munis, qui a pris une part si importante à la confection de la loi, a escaladé la tribune et s’est écrié, en termes un peu différens : — Eh quoi ! misérables poltrons que vous êtes, vous tremblez au moment d’aller à une gloire immortelle ! Vous manifestez du trouble et de l’angoisse lorsque l’orgueil devrait resplendir sur vos fronts. Vous allez accomplir un acte immense. Ce jour est un des plus grands de notre histoire ; il nous introduit dans un monde nouveau. Bientôt les noms de ceux qui auront voté la loi seront inscrits sur un arc de triomphe et passeront à la postérité environnés d’un lustre incomparable. J’attends avec curiosité le dépouillement du scrutin pour voir ceux qui se déroberont à ce devoir sacré. — L’Assemblée était plus étonnée qu’emballée ; mais, dans les accens vainqueurs de cette fanfare, une des plus extraordinaires qu’il nous ait été donné d’entendre, elle a senti la menace. La gauche, le centre, la droite ont voté la loi à qui mieux mieux. Trois voix seulement se sont prononcées contre, et il n’y a eu qu’une vingtaine d’abstentions. Une vingtaine de sénateurs ont renoncé à voir leurs noms resplendir sur l’arc de triomphe de la cité nouvelle pour conserver l’indépendance de leur jugement, la paix de leur conscience et le droit de décliner sérieusement toute responsabilité dans une loi dont M. Monis a eu raison de dire qu’elle ouvre un monde nouveau.

On jugera comme on voudra la loi sur les retraites ouvrières, mais c’est ainsi qu’elle a été votée par le Sénat, Il est probable, et même à peu près certain que la Chambre la votera à son tour sans y rien changer, car si elle y changeait un seul mot, la loi devrait revenir au Sénat, et on n’en finirait plus. La Chambre dira donc à son tour que la loi est incomplète et mal faite, mais qu’on la corrigera et la perfectionnera plus tard. Puis nos députés se répandront en province, où ils emboucheront le clairon méridional de M. Monis. Il est toujours facile de glorifier une loi qui vient de naître : c’est seulement quand elle aura quelques années d’âge qu’on verra ce qu’elle vaudra.


Les nouvelles du dehors sont en ce moment assez nombreuses.

La chute du Cabinet Sonnino en Italie n’étonnera pas nos lecteurs, Dès le premier jour de son existence ministérielle, M. Sonnino a éprouvé cette difficulté de vivre que Fontenelle, plus heureux, n’a reconnue en lui qu’à l’âge de près de cent ans. Sa situation était paradoxale, et particulièrement pénible pour un homme de sa valeur. Il n’avait pas de majorité dans la Chambre et ne pouvait subsister que par la tolérance de M. Giolitti : en d’autres termes, il était à la