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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/880

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force dont elle prétend secouer le joug. Les temps ne sont pas venus ; de 1815 à 1830, la période de l’action efficace n’a pas commencé ; on n’en est encore qu’à l’idée.

Or, cette idée trouve son refuge dans les lettres. Et si nous pensions tenir, tout à l’heure, une tendance locale et caractéristique, arrêtons-nous davantage à celle-ci, que l’inopportunité et l’impossibilité de l’action impose à la conscience italienne ; car c’est peut-être la plus importante. Influence prédominante de l’idée nationale sur la littérature ; et réciproquement, influence de la littérature sur l’idée nationale : telle en pourrait être la formule. Art et politique se mêlent ici indissolublement, jusqu’à se confondre. Les lettres, les grandes consolatrices, les mêmes qui avaient prêté à Dante, à Pétrarque, à Alfieri, la voix de leur indignation, s’offrent ici à tous. Les sentimens de haine contre les Barbares, de douleur devant l’état misérable de la pairie, de confiance en l’avenir, — c’est peu de dire qu’elles les traduisent, qu’elles les amplifient, qu’elles les répandent : la vérité, c’est qu’elles les incarnent. Elles sont la patrie. La patrie est ce qu’un peuple possède d’inaliénable et d’intangible, ce qu’il garde même après la conquête ; c’est l’esprit, que la force ne peut atteindre : étant l’esprit, elles sont la patrie. Elles ont recueilli l’héritage de la nation passée ; elles sont la nation idéale qui précède la nation réelle. Elles constituent une Italie provisoire, d’où l’on fera sortir l’Italie définitive. Étrange pouvoir de l’idée sur les esprits ! Jamais, sans doute, en aucun temps et dans aucun pays, place plus grande n’a été réservée à l’art et à la pensée dans la préparation de l’action. Les lettres, pour le dire avec un philosophe contemporain, M. Barzellotti, nous offrent un exemple unique dans l’histoire, unique par la valeur de son principe et par l’intensité de ses effets : elles organisent d’abord, elles conduisent ensuite, le renouvellement de la vie politique d’un peuple[1].

Sur tous les genres, l’idée nationale fait sentir son influence. Ce n’est pas, à vrai dire, qu’elle en crée d’essentiellement nouveaux : mais elle pénètre dans tous ceux qu’elle rencontre ; elle s’adapte à tous ceux qu’elle trouve ; elle s’insinue dans ceux qui semblent le plus rebelles à son pouvoir. Alors elle les transforme ;

  1. Voyez dans G. Barzellotti, Dal Rinascimento al Risorgimenio, seconda edizione, 1910, une très fine et très pénétrante étude sur la psychologie de l’Italie à cet égard.