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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/882

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le moule de la tragédie traditionnelle, mais versant en lui les sentimens patriotiques qui mettront la foule en délire, voici Niccolini, le type accompli du littérateur patriote, ou du patriote littérateur : car à ce degré, on ne sait lequel des deux doit passer avant l’autre. — Faisons quelques pas encore ; pénétrons davantage dans le présent ; et nous rencontrons les hommes qui, débarrassés du poids mort que les autres traînaient après eux, préjugés anciens et idées fausses, formes vieillies et mots vides, concentrent dans leur génie les forces vives de la nation, et nous présentent ce que la production intellectuelle de l’époque comporte de meilleur : Manzoni et Leopardi ; tous deux sachant trouver le juste point où la préoccupation nationale soutient l’art sans l’excéder, où la forme parfaite s’équilibre avec l’idée profonde, et donnant par cela même des chefs-d’œuvre. Plus loin enfin, à la limite extrême à laquelle nous arrivons, voici la très jeune génération, celle qui poussera la théorie de la littérature patriotique jusqu’à ses dernières conséquences, qui considérera chaque phrase comme une arme, la publication de chaque livre comme une bataille, qui ne verra plus dans l’art que l’action : Guerrazzi.

Comment la littérature, à son tour, agit sur les esprits, et rend en efficacité ce que la nation lui prête en confiance, voilà qui est plus difficile à distinguer sans doute, puisque les effets pratiques ne doivent se faire sentir que plus tard, et que nous en sommes seulement aux aspirations et aux efforts. Cependant on peut comprendre déjà, par des exemples précis, quelle est sa méthode et comment elle travaille. On peut voir les obstacles qu’elle doit tourner, les difficultés qu’elle doit vaincre, les défaites même qu’elle doit essuyer, pour propager son influence ; et non pas seulement voir, mais admirer son mérite, le jugeant par sa peine. Nous ne parlons pas ici de ces violentes expressions de colère, de ces cris, de ces injures même, qui donnent à une partie de la littérature italienne de l’époque ce caractère boudeur, acariâtre, révolté, qu’on a souvent remarqué. Ces manifestations s’expliquent tout naturellement, si l’on songe à la condition des écrivains et des lecteurs ; elles sont utiles même, si elles excitent les esprits, et les fouettent. Mais l’influence réelle est ailleurs. Elle est dans la volonté bien arrêtée d’offrir aux Italiens des idées plus saines, des exemples plus moraux, des connaissances plus pratiques, et de faire ainsi leur éducation.