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Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/886

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des gens libres, elles font travailler leur imagination, et excitent leur colère. Elles leur apparaissent comme une manifestation de cette liberté dont ils sont privés ; elles irritent leur impatience en provoquant leur espoir. Or ceci est le cas des Italiens. L’Espagne vient-elle à se donner une constitution ? Apprend-on que le roi Ferdinand a juré de lui être fidèle ? Toute la Sicile, tout le royaume de Naples frémissent aussitôt ; puis l’agitation se propage à travers la péninsule ; ce n’est pas seulement à Naples qu’on proclame la constitution espagnole, c’est aussi à l’autre extrémité de l’Italie, à Turin. L’exemple venu de l’étranger est transformé spontanément en élément d’action, voire en ferment de révolte. C’est un état d’esprit qui prend date maintenant, et se prolongera jusqu’à l’établissement définitif de l’unité : l’Italie se sentira ébranlée par les secousses qui agiteront les peuples voisins ; on peut poser en principe qu’il n’y en aura aucune désormais qui ne la fasse tressaillir. Même les événemens littéraires prennent ce caractère. Il n’est guère de pays où l’influence du byronisme ait été plus étendue ou plus profonde. D’ordinaire, l’action exercée par les écrivains du Nord est dirigée, et comme canalisée, par la France : au contraire, l’action exercée par Byron s’est manifestée en Italie avant de se manifester chez nous, et elle a duré plus longtemps[1]. Ce serait un curieux chapitre de littérature comparée à écrire, que l’histoire du prestige de sa personne aussi bien que de ses œuvres. Guerrazzi était à Pise, au moment où Byron vint s’y installer ; et voici qu’elle était, trente ans plus tard, l’impression qu’il en avait gardée : « Je n’ai pas vu les chutes du Niagara, et je ne sais ce que c’est qu’un volcan ; mais j’ai contemplé de furieuses tempêtes et la foudre a éclaté près de moi : cependant tous les spectacles connus et inconnus n’ont rien d’égal à l’épouvante que produisit en moi la contemplation de cette âme immense... La sagesse antique et moderne, Dieu à côté de Satan et paraissant pâle en comparaison, des douleurs, des angoisses sans nom, des mystères insoupçonnés, d’insondables abîmes du cœur, et des larmes et des rires, tout cela jeté à pleines mains dans ces pages immortelles : voilà la poésie que j’avais rêvée... Pendant de longues années, je n’ai plus vu, je n’ai plus senti qu’à travers Byron. » Cette exceptionnelle influence ne s’explique-t-elle

  1. G. Muoni, La fama del Byron e il byronismo in Italia, Milano, 1903 ; La leggenda del Byron in Italia, Milano, 1907.