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LE MONTENEGRO ET SON PRINCE.

applaudit à l’avènement du nouveau roi dans une lettre enthousiaste qu’il terminait par le cri de : « Vive mon gendre ! » Pourtant une sourde méfiance se manifestait déjà entre les deux dynasties ; Pierre 1er  n’envoya pas de représentant à Cettigne. La princesse Zorka était morte avant d’avoir été reine et l’on s’est demandé si, après la catastrophe des Obrenovitch, le prince Nicolas n’aurait pas secrètement désiré voir la succession revenir à son second fils, Mirko, marié ; la fille du colonel Constantinovitch, cousin du roi Alexandre. La propagande nationale serbe en Bosnie et en Macédoine alarme le prince Nicolas ; si la grande Serbie, rêvée par quelques patriotes, était réalisée, que deviendrait la petite principauté monténégrine ? Elle irait se perdre dans la masse serbe et l’union se ferait au profit des Karageorges plutôt qu’au bénéfice des Petrovitch. Cette inquiétude ne serait pas étrangère, dit-on, au rapprochement qui, vers la même époque, fut remarqué entre la Cour de Cettigne et celle de Vienne. L’union des Serbes, le prince Nicolas la souhaite, mais au profit de sa dynastie et de son peuple ; n’est-ce pas le Monténégro qui, seul de tous les pays serbes, n’a pas subi le joug avilissant du Turc ? Ne lui appartient-il pas de marcher, sous le signe de la Croix, en avant de tous les Slaves pour la défaite définitive de l’Islam et la fondation de l’Empire des Balkans ? Quand les ancêtres des Karageorges gardaient les porcs dans les forêts soumises aux Turcs, les Petrovitch étaient déjà les fiers vladikas de la libre Tchernagora. Le prince Nicolas regarde Belgrade comme le foyer dangereux d’où souffle, jusque dans ses montagnes, l’esprit révolutionnaire. Nous verrons comment l’« affaire des bombes » a fortifié chez lui cette conviction et rendu très mauvaises les relations entre Belgrade et Cettigne. Il fallut, pour opérer une réconciliation, l’annexion de la Bosnie-Herzégovine par l’Autriche. Quand, le 7 octobre 1908, éclata cette nouvelle, la poussée de l’opinion publique fut plus forte que les défiances des souverains. Le ministre de Serbie qui, à peine installé à Cettigne, avait dû en partir lors du « procès des bombes, » y rentra triomphalement, tandis que le général Voukotitch, envoyé à Belgrade, y était accueilli avec enthousiasme. A Cettigne, dans les premiers jours de la crise, des télégrammes, venus de Pétersbourg et de Londres, encourageaient le prince à la résistance. Les Monténégrins coururent aux armes et bordèrent leurs frontières, tandis que les