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pour choisir entre eux. Ce conflit, non pas de deux opinions, mais de deux hommes, s’était produit indépendamment de leur volonté. Si l’accroissement de la population dans quelques circonscriptions électorales a obligé de les dédoubler, sa diminution dans quelques autres a obligé, au contraire, de les réunir en une seule, et c’est ce qui est arrivé dans le VP arrondissement de Paris où M. Charles Benoist représentait le quartier de la Monnaie, et M. Prache, celui de Saint-Germain-des-Prés. Avec les deux circonscriptions, on n’en a fait qu’une, et ni M. Charles Benoist, ni M. Prache, n’ont voulu abandonner leurs électeurs : à eux, ont-ils dit, de choisir entre nous. On ne sait trop ce qui se serait passé si M. Charles Benoist ne s’était pas fait le grand champion de la représentation proportionnelle. Les électeurs de M. Prache tenaient beaucoup à lui, et ceux qui l’ont abandonné ne l’ont pas fait sans regrets. Mais ils ont compris qu’il y avait un intérêt général à ce que M. Charles Benoist fût élu. S’il ne l’avait pas été, la représentation proportionnelle ne serait pas morte du coup, morte avant même d’avoir vécu, mais elle aurait été fort endommagée. Ses adversaires, et ils sont nombreux, n’auraient pas manqué de tirer parti de l’incident. Le pays, auraient-ils dit, ne tient pas autant qu’on le croit à la représentation proportionnelle, puisqu’il en a laissé tomber le porte-drapeau sur le champ de bataille, et l’argument, tout faible qu’il fût, aurait porté coup. L’argument aurait été faible, parce qu’il n’aurait pas tenu compte des circonstances qui ont mis malgré eux en conflit deux partisans de la réforme ; M. Prache ne l’était pas moins que M. Benoist ; mais les partis usent de tout, et ils auraient audacieusement exploité les apparences pour combattre et pour condamner une réforme qui les inquiète. C’est ce que les électeurs du VP arrondissement de Paris n’ont point voulu. Ils ont fait passer l’intérêt des choses avant celui des personnes, et ceux mêmes d’entre eux qui, dans toute autre occasion, n’auraient pas sacrifié M. Prache à M. Charles Benoist l’ont sacrifié à la représentation proportionnelle.

La question sera donc posée devant la nouvelle Chambre, dès les premiers jours de sa réunion, et la discussion qui se produira alors aura un grand retentissement dans le pays. Il n’est pas douteux, en effet, que cette question a réussi à l’intéresser, à le toucher, à le passionner, même pendant cette période d’atonie où il paraissait se désintéresser de tout. Pourquoi cela, sinon parce que les espérances qui se rattachent à la représentation proportionnelle font partie de toutes celles dont le pays est actuellement tourmenté. Beaucoup de personnes