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responsabilité diminue, et la prudence faiblit. Il nous serait facile de citer, à l’appui de cette vérité, telles conversations de ministres allemands pendant la crise marocaine, conversations officielles qui ont été publiées dans les recueils diplomatiques. Sans doute les ministres écartaient l’idée de la guerre, mais ils donnaient à entendre que, si elle se produisait, le plus grand danger n’en serait pas pour eux. Avaient-ils vraiment cette impression ? C’est possible, probable même : les désastres de la Russie en Extrême-Orient l’immobilisaient provisoirement en Europe, et dès lors, nous semblions militairement isolés. C’est alors que l’Angleterre s’est dressée à côté de nous, et la situation s’est aussitôt modifiée. Pourquoi ? Parce que l’équilibre qui avait été détruit était rétabli. Le rapprochement anglo-russe est venu ensuite. En rassurant la Russie sur des arrière-pensées qui auraient pu l’inquiéter, elle lui a rendu la libre disposition des forces qui lui restaient. Dès lors, un nouveau pas était fait dans la reconstitution de l’équilibre général, et l’Europe a pu respirer plus librement. L’équilibre est une garantie pour tous, parce qu’il peut devenir, s’il en est besoin, un frein pour chacun. Nul ne l’a mieux compris que le roi Édouard. Quand il est mort, l’œuvre était accomplie, et elle l’avait été avec assez de force pour lui survivre : elle lui survivra, en effet, comme un témoignage durable de son intelligence politique, de sa volonté, de son habileté.

À l’intérieur, son action personnelle ne s’est pas manifestée d’une manière aussi évidente, ni aussi efficace : au moment où il disparaît, l’Angleterre traverse une des plus redoutables tempêtes qu’elle ait éprouvées. Mais on se demande ce que le Roi pouvait y faire. Dans ce domaine particulier, la Constitution, ou du moins les traditions qui en tiennent lieu, lui imposaient une réserve presque absolue. Dans la politique extérieure, les deux partis étaient d’accord sur ce qu’il convenait de faire, et, comme le Roi le faisait fort bien à travers l’Europe, ils étaient d’accord aussi pour lui laisser une pleine liberté d’action. Mais, au dedans, la situation était bien différente. Là, les partis se sont déchaînés l’un contre l’autre avec violence. Quels que fussent les sentimens personnels du Roi, il ne pouvait pas les exprimer, et encore moins les imposer. Tout au plus pouvait-il donner quelques conseils. L’a-t-il fait ? On l’a dit. Les journaux ont relevé, avant le rejet du budget par la Chambre des pairs, les allées et venues des hommes politiques qu’il avait appelés successivement auprès de lui. Le secret de ces conversations a été jusqu’ici assez bien gardé, mais comme elles n’ont certainement pas eu pour objet d’exciter les deux