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délicat, il discerne ce qui se passe en lui-même et il explique, en paroles précieuses, dans son Banquet d’amour, ce qui fut, pour lui, une si grande douceur : « J’étais, à une époque, semblable à vous, cherchant, avec un désir inquiet et bouillant, la paix dans les choses extérieures sans la trouver. Enfin, prévenu par la grâce divine, pendant que je travaillais ainsi, une personne très belle, plus resplendissante que le soleil, plus odoriférante que le baume (les saintes de Jeanne d’Arc répandent ainsi des parfums suaves), daigna m’apparaître. Elle s’approche et, d’un visage gracieux, d’une voix douce, elle me dit : « Ce que vous désirez est en moi ; ce que vous désirez, je vous le promets si, cependant, vous voulez m’avoir pour épouse. » Une joie inaccoutumée remplit mon âme, tout ce qui est en moi fut inondé d’une spirituelle allégresse. Je désirais savoir qui elle était : elle dit qu’elle était et qu’elle s’appelait la Sagesse de Dieu qui, dans la plénitude des temps, pour la réconciliation des hommes, a pris la forme humaine et, invisible auparavant avec le Père, a pris, de sa mère, la nature visible, afin d’être plus facile à aimer. Lorsque j’y eus consenti, avec une joie immense, elle me donna le baiser de paix et s’en alla[1]. »

L’abeille de Platon s’est posée sur ces lèvres.

La « vision » est, en somme, la suprême retraite de la personnalité, de la personnalité active, indépendante et volontaire. Elle est le refuge dans le sein de Dieu pour y capter la force de Dieu. Elle est la source des « vocations ; » elle retombe sur le cœur d’où elle s’élance, comme un jet d’eau rejaillit sur lui-même, du ciel. La « vision » est une « vue » extrêmement intense et convaincue de la Vérité, qui est Dieu : aussi, elle est généralement accompagnée d’un ordre : « Fille Dieu, va, va ! »

La « vision » suppose la foi et l’impose. On ne peut dire à quelles frontières indicibles le surnaturel et l’humain entrent en contact, et de le dire ne nous appartient pas. Ces hommes seuls, ces surhommes pourraient nous expliquer comment leur œil a saisi, et mesuré, dans une illumination soudaine, des vérités et des lois sous-jacentes aux lois apparentes de l’Univers. Mais leur effroi de ce qu’ils ont aperçu d’insondable est tel qu’ils se taisent.

On appelle « génie » une certaine maîtrise des procédures

  1. Rohrbacher, loc. cit. (p. 89).