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se donnait toute. Je crois, en vérité, qu’il n’y eut jamais un être plus courageux qu’elle ; ce fut là son génie.

Elle prend en mains, pour son compte, les affaires de l’humanité. Individuelle et non « grégaire, » comme on dit aujourd’hui, elle tire à elle la peine. Elle s’offre à la mort pour sauver : c’est sa vocation, sa mission.

Dans l’état où les affaires se trouvaient, par la faute des âges précédens, par l’encrassement de la machine sociale, par l’épaississement des passions et des appétits vulgaires, nombre d’esprits inquiets réclamaient de nouvelles directions, de nouvelles voies. Mais nul ne savait ce qu’il y avait à faim, parce que nul n’avait la volonté complète, absolue, de faire. Aveuglement vient de paresse et lâcheté.

Le mot de « réforme » était sur toutes les lèvres et il n’y avait pas de partisans plus passionnés de cette œuvre que les grands chrétiens. Mais ils n’osaient mettre la hache à l’arbre les plus hardis n’étendaient guère leur vue au-delà des corrections à apporter à l’Eglise, selon la fameuse formule, « dans son chef et dans ses membres. »

Leur méthode, leur procédé étaient surtout corporatifs : habitués à l’action en commun, ils cherchaient le salut dans de nouveaux organismes. La plupart des esprits sont « mécaniques » et croient qu’en changeant les rouages on change les hommes. Autre paresse, autre aveuglement ! Médecin, guéris-toi toi-même ! Fondations d’ordres religieux, « strictes observances, » mouvemens populaires, tels furent les procédés de l’évolution sociale à cette époque : les grands hommes furent de puissans prédicateurs, des maîtres recruteurs, des remueurs de masses, mais ils ne se sentaient en confiance que quand ils marchaient en troupes.

Le donjon féodal était encore si massif et si sourcilleux qu’on n’osait l’aborder de front ; on cherchait plutôt à saper le roc où il s’appuyait. Tel fut le sens de la création des nouveaux ordres monastiques et surtout des Tiers-Ordres qui laïcisèrent l’esprit de réforme corporative et firent l’union des deux inquiétudes. De part et d’autre, on prétend arracher le monde à la somnolence, à la routine, à la matérialité où l’ont attardé et endormi les hiérarchies surannées, soit laïques, soit ecclésiastiques. Azincourt et Avignon, voilà ce qu’il faut venger, réparer.

Jeanne d’Arc fut-elle conduite, fut-elle endoctrinée, initiée !