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constitutionnelle de l’Empire Britannique impose au souverain une neutralité presque absolue qui fait à la fois sa faiblesse et sa force. Les ministères s’élèvent sans qu’il ait à choisir aucun des membres qui le composent ; le chef lui-même en est désigné d’avance par le rôle qu’il a rempli ; en revanche, ils tombent sans emporter avec eux une parcelle de son pouvoir. Edouard VII s’était préparé, de vieille date, à ce rôle très difficile et c’est ici le lieu de remarquer combien ce prince si expansif, si libre dans l’expression de ses sentimens, était prudent et réservé dans celle de ses opinions. Aucun des deux partis qui se succédaient au pouvoir ne pouvait le considérer comme acquis à ses doctrines et je suis persuadé que cette neutralité était devenue chez lui une seconde nature. En cela il était le précurseur d’un mouvement presque universel auquel nous assistons de nos jours et que j’ai plusieurs fois signalé dans la Revue : celui qui tend à détacher les masses des deux organisations politiques auxquelles elles ont si longtemps appartenu et qui, aujourd’hui, ne sont plus que des cadres, de simples états-majors. Il y avait une tendance de plus en plus marquée à envisager le Roi comme le représentant de ces masses flottantes qui s’inquiètent peu de la discipline des partis, mais s’émeuvent à propos de telle ou telle question d’intérêt national. De temps en temps, une pensée, une manière de voir du Roi transpirait dans le public et c’était, précisément, celle qui prévalait au dehors, celle qui semblait la plus juste et la plus simple aux spectateurs. Lorsque l’Angleterre se porta, en 1906, à la défense du Libre-Echange, nul n’ignorait que ce mouvement avait les sympathies du souverain. S’agissait-il d’empêcher une grève, comme celle des chemins de fer, dont l’Angleterre fut menacée dans l’été de 1908, le Roi était aussitôt prêt à intervenir officieusement, presque silencieusement, sauf à laisser, après avoir réussi, tout le mérite du succès au ministre qu’il avait aidé de son influence. Nous ne parlerons pas du rôle modérateur qu’il a essayé de jouer dans la crise actuelle ; les faits sont trop récens ; le dénouement ne s’est pas encore produit.

Edouard VII a-t-il subi l’évolution démocratique de l’Angleterre contemporaine ou l’a-t-il servie ? Y a-t-il vu une nécessité inévitable ou un bienfait des temps nouveaux ? Une voix indépendante va répondre et le témoignage qu’elle nous apporte paraîtra, je crois, d’autant plus intéressant qu’il est inattendu. Il émane, en