Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/608

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si souvent, pendant les courtes heures du voyage. Le Djebel Ousdoum ! Le Mont de Sodome ! Les syllabes sourdes retentissent à mes oreilles. Il me semble que j’entends encore la nappe pesante de l’Asphaltite s’engouffrer dans les cavités des roches et des promontoires et s’y briser en un roulement de tonnerre.

Pourtant, tout est silence ! Le pouls du temps s’est arrêté ! Nous sommes ici dans l’éternel, dans le royaume sans bornes, où ne rien ne change, où rien n’arrive ! A quoi bon partir ? On voudrait se coucher là, ne plus bouger, pour contempler, sans désir et sans trêve… Mais les moukres s’impatientent. Il faut se dérober à cette fascination. Et j’en éprouve une mélancolie poignante, comme à la minute où l’on se sépare d’un être cher. J’aurai vécu deux jours sur cette terre redevenue vierge, la plus belle peut-être qui soit sortie de la main de Dieu. J’aurai joui d’un spectacle donné pour moi seul, et que nulle curiosité vulgaire n’a encore profané. Hélas ! ces endroits-là, qui restent mystérieux et fermés comme des sanctuaires, deviennent plus rares tous les jours ! C’est pourquoi je ne puis m’arracher à la falaise déserte d’En-Gaddi !

Je jure d’y revenir, s’il plaît au maître de l’heure. Je m’avance vers le bord du précipice, et je me penche sur la Mer Morte, afin d’imprimer à tout jamais dans mon souvenir l’image que j’en veux garder.

Et puis, nous nous en retournons, par les tristes chemins de Juda.


LOUIS BERTRAND.