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Pour qui prendra-t-on M. Henri de Régnier, si son portrait dure aussi longtemps que ses vers, sans que l’identification en soit conservée ? L’attitude surprise par M. Cappiello (avenue d’Antin, salle III, no 220) peut être juste, mais est-elle le moins du monde révélatrice de ce poète, — ou d’un poète ? Personne s’avisera-t-il jamais, en le voyant, qu’il est en présence d’un magicien du verbe et d’un alchimiste du rêve ? Pourquoi l’incommodité de ce pardessus sur son bras et de ce chapeau haut-de-forme à sa main ? Parce qu’on l’a vu ainsi ?… Oh ! sans doute, on a vu Burne Jones prendre le bus, Lamartine monter à cheval et Victor Hugo danser, mais ni Victor Hugo, ni Burne Jones, ni Lamartine ne se révélaient expressément eux-mêmes dans ces momens-là, précisément dans la mesure où ils étaient tout le monde. Nous entendons bien que ces embellissemens désignent un homme moderne, mais précisément, parce qu’ils lui sont communs avec tous ceux de sa génération, ils ne réussissent pas à nous faire voir en cet homme moderne le poète. Et si l’on pense avec raison qu’il ne suffit pas d’affubler un poète, comme on l’eût fait autrefois, de la plume, de la lyre ou du laurier, pour se dispenser de chercher dans ses traits le trait de dissemblance qui le révèle, l’embarrasser d’un haut-de-forme et d’un pardessus ne dispense pas davantage de nous montrer ce trait. Chose curieuse, il n’est pas de poète dont les vers chantent plus souvent dans la mémoire, quand on regarde les œuvres des paysagistes modernes. Il n’est guère possible de voir les Terres Antiques de M. René Ménard sans se souvenir des Jeux rustiques et divins, ni les effets intimes et recueillis de nos paysagistes crépusculaires, sans se rappeler Tel qu’en songe. On songe à M. Henri de Régnier toutes les fois qu’on voit un beau paysage, mais en voyant ce portrait, on n’y songera pas du tout.

Parmi tous les écrivains que nous rencontrons au Salon, un seul est figuré dans l’exercice de ses fonctions, qui sont d’écrire : c’est M. Pierre de Nolhac, par M. Henri de Nolbac (avenue d’Antin, salle IV bis, no 956). Mais il écrit de si près et s’applique tant à sa besogne que son portrait n’est déjà plus un portrait, pas plus que la Dentellière de Vermeer ou que la Pianiste de Franz Hals ne sont des portraits. C’est une scène de genre, d’un ton très fin et d’une facture excellente, où le jour pâle qui éclaire le cabinet du château de Versailles, et les papiers, et les livres entassés, et le buste de Marie-Antoinette, jouent le principal