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personnage qu’ils ont accommodé et les intempéries qu’ils ont subies. A les voir, on sent :


De quel éclat brillaient dans la bataille
Ces habits bleus par la victoire usés.


Le peintre a été bien inspiré dans le choix de son épisode. Dans ce moment précis de la messe que l’Eglise appelle de ce beau mot : l’Élévation, on sent la présence d’un grand mystère : le mystère du sacrifice ; on vit une minute rare et poignante : une de ces minutes où paraît, au-dessus de toutes les petitesses individuelles des héros, le visage même de l’héroïsme, et par-delà les mesquines foules qui la composent, l’âme de la patrie.

A qui attribuera-t-on ce tableau dans l’avenir ? On y reconnaîtra sûrement des portraits, aussi sûrement que nous en reconnaissons dans les fresques du Carminé ou de Santa Maria Novella, et comme ces portraits ne sont pas tous ceux d’officiers contemporains du peintre, il est infiniment possible qu’on écrive ceci : « L’œuvre la plus importante d’Horace Vernet est la suite de ses compositions sur la prise de Constantine, survenue du temps même de l’artiste en 1837. Elle comprend cinq toiles d’inégales dimensions qui retracent toutes les phases de cet épisode fameux de la conquête de l’Algérie au XIXe siècle : les Kabyles repoussés des hauteurs de Coudiat-Ati, les Colonnes d’assaut se mettant en mouvement, l’Attaque de la porte du Marché, la Prise de Constantine, et enfin les Funérailles du général Damrémont tué à l’ennemi. Quelques critiques, il est vrai, attribuent ce dernier morceau à un autre peintre militaire, qui vécut longtemps après et qui peignit des épisodes de la guerre de 1870, Détaille. Mais cette attribution ne saurait se soutenir. En effet, il n’y a aucune raison pour qu’en pleine République on ait eu l’idée de commémorer ce fait glorieux pour la monarchie, alors qu’on n’avait pas l’idée de glorifier les faits d’armes de la République elle-même ; car pas une toile retraçant les victoires du Tonkin, du Maroc ou de Madagascar n’est parvenue jusqu’à nous, et nous ne trouvons, dans aucun témoignage contemporain, trace que ces campagnes, qui ont donné un monde colonial à la France, aient inspiré aucun peintre. De plus, il est visible, et des documens de l’époque nous confirment, que les personnages groupés ici sont des portraits. Parmi ceux-ci, on reconnaît le général Valée, qui est le personnage debout, de profil,