Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grand au milieu de ses fers, aux portes du tombeau que lui ouvraient sans cesse nos derniers tyrans[1], cet auteur qui consacrait ce qu’il pouvait alors appeler ses dernières pensées au bonheur de ses semblables ! Chacun de ses quatrains est presque un traité sublime par sa simplicité qui le met à la portée de tous. C’est ce livre surtout qui, plein de goût et de solidité, brillant par les images, frappera davantage nos concitoyens, et, à l’aide de l’harmonie, se gravera plus facilement dans leur mémoire. Le jury a proposé de donner 2 500 livres à son auteur. »

On tenait donc enfin le Manuel par excellence, le manuel idéal, le catéchisme destiné à remplacer tous les autres, le flambeau radieux qui devait affaiblir la lueur fuligineuse des mysticités antiques. Ce petit livre vaut la peine d’être étudié, et comme il n’est pas facile de le trouver même dans nos grandes bibliothèques, il peut être bon de le faire connaître en examinant l’exemplaire que Grégoire avait inséré dans ses Recueils de pièces. Cet exemplaire est de l’an VIII, et le titre en a été dénaturé d’une manière très significative. Il n’est plus intitulé, comme en 1796, Catéchisme républicain, mais Catéchisme français, ce qui n’est pas précisément la même chose, et ce qui tendrait à prouver que le citoyen La Chabaussière pouvait bien être ce qu’on appellerait aujourd’hui un opportuniste.

Le Catéchisme de La Chabaussière n’a rien d’un catéchisme ordinaire ; les questions n’y sont pas rédigées de manière à bien préparer la réponse qui doit suivre ; ce sont à vrai dire des quatrains à la façon de ceux de Pibrac, avec des titres présentés sous la forme interrogative : Qu’est-ce que la Bienfaisance ? Quels sont les devoirs d’un bon fils ? L’ignorance est-elle nuisible ? etc. La morale de ces quatrains est loin d’être subversive ou même répréhensible, et les sectateurs farouches de la neutralité, ceux qui corrigent La Fontaine :


Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que l’on lui prête vie,


jugeraient La Chabaussière aussi clérical que Robespierre même et que ses disciples, qui écrivaient sur les temples de l’Etre suprême la déclaration que l’on sait. Voici d’ailleurs quelques-uns des quatrains du Catéchisme républicain[2] :

  1. Incarcéré pendant la Terreur, La Chabaussière (1752-1820) n’était sorti de prison qu’après le 9 thermidor.
  2. Le titre complet de l’édition de l’an VIII, qui est la cinquième, est le suivant : Catéchisme français, ou principes de morale en vers, à l’usage des écoles, par La Chabeaussière (sic). On y trouve une traduction des vers dorés de Pythagore et des notes d’un ton parfois agressif qui n’étaient pas dans les édition » précédentes. Les premières éditions étaient sans nom d’auteur.