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en quête de cliens de rencontre, et aussi pour les dramaturges intéressés à grouper des personnages qui, par temps clair, n’auraient jamais eu l’heur de se rencontrer. C’est d’abord un jeune gentilhomme, comte ou marquis de Blancourt. Il voyage pour affaires Entendez par-là qu’étant tout à fait démuni d’argent, il s’est avisé qu’un sien cousin, éloigné dans tous les sens du mot, est négociant à Harlem où il a fait une grosse fortune et qu’il y a donc lieu d’épouser, pour les beaux yeux de sa cassette, la fille du bonhomme Amstel. « Il faut bien fumer ses terres, » disait, en soupirant et désignant sa belle-fille, une des femmes les plus spirituelles du temps passé. Puis un lot de brigands. Eux aussi, ils voyagent pour affaires. C’en serait une apparemment que de massacrer le jeune gentilhomme. Mais ce jeune gentilhomme est nécessaire aux événemens qui vont suivre. C’est pourquoi il ne tombera pas un cheveu de sa tête.

Cela n’est encore que pour amuser le tapis. Mais voici un groupe beaucoup plus important : Régine, son fils Gilbert, et leur valet Gobelousse. Avez-vous rencontré dans les romans de chevalerie le Chevalier de la Triste Figure, possédé par un amour malheureux et qui s’en va contant sa peine aux arbres, aux rivières, aux étoiles, à toute la nature qui n’en peut mais ? Tel est Gilbert. Une personne, maîtresse ou fiancée, je n’ai pas bien pu le débrouiller, qui avait eu l’heur de lui plaire, ayant un beau jour disparu à l’horizon, il en est devenu tout rassoté, comme disaient nos pères. Il ne rit plus, il ne parle plus, il ne mange plus. Je plains les personnes qui l’entourent. Et je pardonne à son excellente mère d’être une si ennuyeuse dame, en songeant à ce que peut être la vie de la malheureuse dans la société d’un tel être. Elle le fait voyager. Il s’imagine qu’il court après son infidèle. Cela flatte sa démence et entre dans son jeu. Il est celui qui, indifférent à toutes choses, promène sa tristesse à travers le monde. Hélas ! si la compagnie de ce mélancolique n’est réjouissante pour personne, sa présence sera également fâcheuse pour nous autres, les spectateurs. L’auteur l’a bien senti, et il a compris la nécessité de réagir contre cette impression : ce dont on ne saurait trop le louer. Donc, à côté du maître triste, il a placé le valet gai. Gobelousse est chargé de nous dérider. Il est du Midi, et de Marseille encore ! Il est hâbleur, bavard, poltron, fanfaron, au demeurant le meilleur fils du monde, comme ce valet qui vola Marot et qui n’était, lui, qu’un valet de Gascogne. Investi du rôle d’amuseur, dirai-je qu’il s’en acquitta avec une conscience même excessive ? Chaque fois que la pièce languit, Gobelousse apparaît. Et la pièce n’étant pas d’allure très rapide, on